CARAVAGE (vers 1571-1610)
Le caravagisme
Caravage, dont la carrière romaine se situe entre 1589 et 1607, ne forma pas d'élève, ne dispensa aucun enseignement, sinon par ses œuvres mêmes. Mais celles-ci influencèrent plusieurs générations d'artistes de passage à Rome, lieu de convergence de l'Europe politique, religieuse et culturelle. Les peintres qui arrivaient vers 1600 de Venise (Saraceni) ou de Florence (Gentileschi), d'Utrecht (Ter Brugghen) ou de Francfort (Elsheimer), pour étudier la grande peinture romaine – Raphaël au Vatican, Carrache à la galerie Farnèse –, découvraient en même temps, dans les toiles de Caravage à Saint-Louis-des-Français par exemple, la force dramatique des lumières et des ombres, et un naturalisme absolument nouveau pour eux. Ils découvraient aussi un répertoire formel nouveau : dans les tavernes ou dans la rue, on pouvait trouver non seulement des modèles, mais des sujets de tableau. Ces mêmes artistes contribuèrent à diffuser le caravagisme avec des variantes, des transpositions plus ou moins personnelles, des développements plus ou moins heureux, d'abord à Rome même, puis en France et aux Pays-Bas. Le phénomène se reproduit à Naples, où Caravage doit se réfugier en 1608 et où il exerce une influence directe sur Carraciolo : la génération suivante sera marquée à la fois par son exemple et par des contacts avec les caravagesques romains.
Parmi ceux-ci, Orazio Gentileschi occupe une place particulière : fixé à Rome vers 1585, il est un des premiers artistes à comprendre l'art de Caravage qu'il sut adapter à sa sensibilité personnelle, issue du maniérisme toscan, et diffuser non seulement en Italie – à Rome, à Gênes, à Naples par sa fille Artemisia – mais en France et en Angleterre. Saraceni, venu à Rome dans les premières années du siècle, élabore, lui, un luminisme qui montre ce qu'il doit à Elsheimer et aussi à sa formation vénitienne, à Giorgione surtout. Tanzio da Varallo, qui rencontre Caravage à Rome avant de regagner le Piémont, y développe un art où le maniérisme lombard s'accorde à un puissant naturalisme. Le Tessinois Serodine évolue vers un impressionnisme singulier, alors qu'on pourrait qualifier de surréaliste la vision d'un Schedone. Quant à Manfredi, il s'inspire jusqu'au plagiat des œuvres du maître, dont il fréquente l'atelier, mais il lui revient d'en avoir transmis la manière à la plupart des artistes du Nord travaillant alors à Rome : Seghers, Tournier, Valentin de Boulogne... La diversité des réactions est la même chez les Napolitains. Ribera découvre le caravagisme à Rome et marque au xviie siècle la peinture napolitaine (Rosa) comme la peinture espagnole. Stanzione, sensible et retenu, prend aussi son inspiration à Rome (Saraceni, Valentin) et influence le lyrisme délicat de Cavallino. Carraciolo est, à Naples, le premier maître de Preti qui se tourne ensuite vers Valentin, Serodine, Stomer, mais se montre sensible aux autres courants contemporains (Bologne, Rome). Enfin, les peintres de natures mortes, Ruoppolo, Porpora, ressentent le choc du naturalisme avant d'évoluer vers la somptuosité baroque.
La diffusion du mouvement n'est pas moins spectaculaire dans l'Europe du Nord, aux Pays-Bas notamment. Les allées et venues des artistes suscitent, d'une génération à l'autre, une pression accrue par le jeu des influences juxtaposées, celles que subissent les artistes à Rome ou, avant même leur départ, celles des artistes qui en reviennent. L'Anversois Janssens séjourne en Italie (vers 1598-1600) avant d'y envoyer ses élèves Gérard Seghers entre 1611 et 1620, Régnier vers 1615, Rombouts en 1617. Celui-ci assimile le caravagisme à travers Manfredi et Valentin, tandis que Seghers tente de l'associer au grand exemple de Rubens. Régnier, originaire de Maubeuge, suit également Valentin et Manfredi, mais subit l'influence de Vouet[...]
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Écrit par
- Arnauld BREJON DE LAVERGNÉE : conservateur en chef du musée des Beaux-Arts de Lille
- Marie-Geneviève de LA COSTE-MESSELIÈRE : critique d'art
Classification
Médias
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