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CARE, philosophie

Depuis quelques années, le care suscite une curiosité et une perplexité motivées entre autres par son nom, un terme anglais laissé non traduit, car impossible à rendre en français par un seul mot, tant il engage de notions variées : celles du soin, du souci, de la proximité, du fait de se sentir concerné, donc d'attitudes ou de dispositions morales (care about, for), mais aussi celles de l'activité et du travail de care (take care). Il semble aussi être défini négativement : I don't care, ne pas se soucier... Car la première fonction de l'éthique du care est d'attirer l'attention sur un ensemble de phénomènes négligés : en premier lieu une dimension morale, en second lieu – mais l'urgence en apparaît quotidiennement – une dimension pratique, celle des activités de care et du statut des care givers.

L'humain comme vulnérable

La pensée du care, en proposant de donner tout leur sens à des valeurs morales d'abord identifiées comme féminines – le soin, l'attention à autrui, la sollicitude – a contribué à modifier une conception dominante de l'éthique. Par là, elle a introduit des enjeux éthiques dans le politique et placé la vulnérabilité au cœur de la morale au lieu de valeurs centrales telles que l'autonomie, l'impartialité, l'équité. Le care s'efforce d'attirer notre attention sur ce qui est sous nos yeux mais que nous ne voyons pas, par manque d'attention tout simplement, ou parfois par mépris pour un domaine humain d'activité tenu pour secondaire.

Le care renvoie à une réalité ordinaire : le fait que des gens s'occupent d'autres gens, s'en soucient et veillent ainsi au fonctionnement ordinaire du monde. Les éthiques du care affirment ainsi l'importance des soins et de l'attention portés aux autres, en particulier à ceux dont la vie et le bien-être dépendent d'une attention particularisée, continue, quotidienne. Elles s'appuient sur une analyse des conditions historiques qui ont favorisé une division du travail moral en vertu de laquelle les activités de soins ont été socialement et moralement dévalorisées. L'assignation des femmes à la sphère domestique a renforcé le rejet de ces activités et de ces préoccupations hors du domaine moral et de la sphère publique, les réduisant au rang de sentiments privés. Les perspectives du care sont en ce sens porteuses d'une revendication fondamentale qui touche à son importance pour la vie humaine, les relations qui l'organisent et la position sociale et morale des care givers.

John Rawls - crédits : Harvard University News office

John Rawls

Reconnaître cela suppose d'admettre que la dépendance et la vulnérabilité sont des traits propres à la condition de chacun. Ce réalisme « ordinaire » – au sens du mot anglais realistic que propose Cora Diamond, dans L'Esprit réaliste – est absent des théories sociales et morales majoritaires qui ont tendance à réduire les activités et les préoccupations du care à un souci des faibles ou des victimes qui serait l'apanage de mères sacrificielles. La perspective du care est donc indissociablement éthique et politique : elle élabore une analyse des relations sociales organisées autour de la dépendance et de la vulnérabilité, point aveugle de l'éthique de la justice. En réplique à la « position originelle » décrite par John Rawls en 1971 dans sa Théorie de la justice la sorte particulière de réalisme prônée par la perspective du care aurait tendance à faire de cette « condition originelle » de vulnérabilité un point d'ancrage de la pensée morale et politique.

C'est donc bien la théorie de la justice telle qu'elle s'est développée dans la seconde moitié du siècle dernier, jusqu'à s'installer en position dominante dans le champ de la réflexion politique et morale, qui est dans la mire des approches du [...]

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Écrit par

  • : professeur des Universités, université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

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