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CARE, philosophie

La question de la justice

La perspective du care, on l'a dit, élabore une analyse des relations sociales organisées autour de la dépendance et de la vulnérabilité. Son approche a pour vocation de donner forme à des questions qui ne trouvaient pas leur place dans le débat public et d'infléchir ou de transformer la définition de ce qui compte d'un point de vue éthique et politique. L'intérêt de cette critique est d'avoir fait entendre dans le champ moral et politique des voix subalternes, jusqu'alors disqualifiées. Celles des femmes mais aussi de toutes les catégories sociales désavantagées, ethnicisées, racialisées. Ce sont les voix de toutes les personnes qui réalisent majoritairement le travail de care dans la sphère domestique et dans les institutions de soin, c'est-à-dire qui s'occupent pratiquement des besoins d'autres qu'elles-mêmes, qu'ils soient dépendants ou non. Les éthiques majoritaires, et leur articulation au politique, sont le produit et l'expression d'une pratique sociale qui dévalorise l'attitude et le travail de care, les réservant par là prioritairement aux femmes, aux pauvres, aux immigrés...

Il est surprenant, dès lors, qu'on ait considéré, notamment en France, que l'approche de Carol Gilligan était « essentialiste ». Celle-ci a pourtant clairement montré la généralité de cette approche : elle fait de la justice et du care deux tonalités ou voix rivales, mais présentes en chacun de nous, la voix du care étant moins rapidement étouffée chez les filles que chez les garçons. Dans cette perspective, elle pourrait être conçue comme première et non comme une voix minoritaire. Et l'auteur d'ajouter dans une conférence : « Le care et le caring ne sont pas des questions de femmes ; ce sont des préoccupations humaines. Nous resterons perplexes face à son intransigeance apparente si nous ne faisons pas apparaître explicitement la nature genrée du débat care/justice. Et nous ne parviendrons pas à avancer vers la prise en compte des vraies questions, à savoir : comment les questions de justice et de droits croisent les questions de care et de responsabilité. »

La notion de care, recouvrant à la fois des activités très pratiques et des sentiments ou une sensibilité, une attention soutenue à l'égard d'autrui et un sens des responsabilités, rompt avec la responsabilité telle que l'entendent les théories impartialistes de la justice, et plus exactement avec une conception qui exclurait la texture affective de nos engagements les plus concrets, ce qui fait le grain de la morale quotidienne. De ce point de vue, les deux orientations morales différentes que sont la justice et le care doivent être conjuguées pour parvenir à une justice réaliste.

La théorie du care ne vise pas à voir dans la pitié et la compassion, la sollicitude ou la bienveillance des vertus subsidiaires capables d'adoucir une conception froide des relations sociales, une conception impartiale de la justice fondée sur la primauté des droits d'individus autonomes, séparés et rationnels. Cette description correspondrait plutôt à ce qu'on appelle désormais la sollicitude : c'est-à-dire le care considéré précisément dans la perspective dite de la justice.

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Écrit par

  • : professeur des Universités, université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

Classification

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