SCHMITT CARL (1888-1985)
En France, Carl Schmitt (1888-1985) est un auteur dont la réception a été largement posthume. Mis à part quelques textes traduits, souvent partiellement, dans les années 1930 et oubliés depuis lors, seul un livre d'importance avait paru en français de son vivant : La Notion de politique, préfacée par Julien Freund (1972). Vers la fin des années 1980 étaient traduits simultanément deux autres livres importants, Théologie Politique I et II, ainsi que Parlementarisme et démocratie. Ont-ils joué un rôle de déclic ? En tout cas, depuis le début des années 1990, de nombreux textes de Carl Schmitt ont été traduits et publiés par divers éditeurs, tandis que les études et présentations se sont multipliées.
Dans le même temps, une polémique a enflé, et elle continue aujourd'hui, sur l'opportunité ou la manière de traduire un auteur qui s'est bien plus compromis avec le nazisme qu'on ne le laissait croire en France dans les années 1980. En effet, bien loin de n'avoir soutenu le régime que pendant une brève période, de 1933 à 1936, il est maintenant avéré que si Schmitt a effectivement connu des démêlés avec le Parti nazi en 1936, qui l'ont contraint alors à cesser son activité politique, il a par la suite refusé de revenir sur son passé et, peut-être jusqu'à la fin de sa vie, a fait preuve d'un antisémitisme trivial, même s'il se parait de couleurs théoriques.
La question est soulevée depuis l'intérêt éditorial rencontré par Schmitt en France : comment justifier l'attention portée désormais, y compris à gauche et à l'extrême gauche, à un auteur qui n'a pas seulement eu des engagements détestables, mais dont la pensée comporte des aspects équivoques pour tout démocrate qui se respecte ? Étienne Balibar a rappelé deux raisons classiques de lire Schmitt : la liberté de la recherche, et l'intérêt de connaître la pensée de l'ennemi, en écho à la réflexion de Schmitt lui-même, lorsqu'il énonce : « L'ennemi est la figure de notre propre question. » Et il ajoutait que la « coïncidence des extrêmes » fait que non seulement l'extrême droite et l'extrême gauche peuvent avoir des thèmes et des attitudes communs, mais que l'une et l'autre mettent en relief le refoulé des sociétés libérales, son nœud inavoué de contradictions, où coexistent à l'état latent ordre et désordre à la fois, normalité et conflit. Ces thèmes sont précisément au centre des réflexions de Carl Schmitt. D'autre part, la place du nazisme dans l'histoire européenne justifie qu'on retourne à un auteur comme Schmitt, protagoniste intellectuel de son acte de naissance.
Une biographie contestée
La biographie de Carl Schmitt n'est pas étrangère à ces préoccupations. Né à Plettenberg (Westphalie) en 1888, il étudie à l'université de Strasbourg alors allemande, où il passe sa thèse de doctorat, puis à celles de Bonn et à Berlin. Ses premiers travaux sont de nature plutôt juridique. Ceux qui suivront, au cours des années 1920 et au début des années 1930, marquent un net infléchissement vers une réflexion touchant à la philosophie politique, dans le sillage de la pensée de Max Weber. Ce que celui-ci a démontré sur le terrain économique à partir du protestantisme, Schmitt va le tenter pour la sphère politique à partir du catholicisme. De cette période – qui précède donc la période nazie et hitlérienne – datent des ouvrages parmi les plus importants, comme Romantisme politique (1919), Théologie Politique I (1922), La Dictature (1921), Parlementarisme et démocratie (ibid.),La Notion de politique (1932), Légalité et légitimité(ibid.).
À partir des années 1930, Schmitt, qui avait, comme beaucoup d'autres intellectuels allemands, refusé le traité de Versailles et critiqué la République de Weimar[...]
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Écrit par
- Jean-Louis SCHLEGEL : sociologue des religions, éditeur, traducteur
Classification
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