Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

LINNÉ CARL VON (1707-1778)

Le décor mythico-religieux

Le positivisme de Linné, s'il triomphe d'interdits millénaires, n'implique nullement une rupture avec la religion traditionnelle. Linné est un chrétien aussi convaincu que Newton, ce qui n'est pas peu dire. Le Système de la Nature, en ses éditions définitives, s'ouvre par une profession de foi ; la Nature proclame la gloire du Dieu de la Genèse, et le naturaliste accomplit une œuvre d'apologétique.

Le schéma théologique de la Création, bien loin de jouer le rôle d'un obstacle épistémologique, fournit des éléments d'intelligibilité, en particulier ceux de la finalité des êtres naturels et de la hiérarchie des formes vivantes. Le thème de la grande chaîne des êtres qui groupe toutes les réalités selon l'ordre ascendant d'une échelle ontologique est un présupposé de l'œuvre linnéenne. Cette échelle se retrouve chez tous les naturalistes du temps et fournit le principe d'un ordre de complexité et de dignité croissantes, à mesure que l'on passe des réalités les plus humbles, de la vie endormie dans les minéraux aux espèces végétales et animales. Les primates sont ainsi dénommés par Linné parce qu'ils constituent le couronnement de la nature aux confins du surnaturel.

Chez Linné, comme chez Newton, la foi n'est pas un obstacle à la science. La conviction religieuse cautionne la recherche scientifique ; elle fournit à celle-ci le présupposé de l'unité et de l'harmonie de la création ; le discours scientifique n'en demeure pas moins autonome ; il ne met en œuvre que des éléments d'une rigoureuse positivité.

Cette positivité est, chez Linné, celle du regard qui saisit l'unité des formes avec l'intuition divinatrice du génie. L'auteur du Système de la Nature n'est pas un biologiste ; il n'explique pas, ou, quand il se mêle d'expliquer, il explique mal. Il est un visionnaire du réel dont le coup d'œil a su embrasser à la fois la prodigieuse diversité des formes et leur prodigieuse unité. Mieux qu'un penseur ou un savant, Linné est, comme Goethe, un Augenmensch, un génie du regard.

— Georges GUSDORF

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Strasbourg

Classification

Média

Carl von Linné - crédits : Stefano Bianchetti/ Corbis/ Getty Images

Carl von Linné

Autres références

  • SYSTEMA NATURAE (C. von Linné)

    • Écrit par
    • 225 mots
    • 1 média

    Publié en 1735 par le naturaliste suédois Carl von Linné (1707-1778), Systema naturae renferme la première classification vraiment scientifique des mondes minéral, végétal et animal. Si la classification des minéraux conçue par Linné a été vite oubliée, celle des végétaux et des animaux...

  • BIOGÉOGRAPHIE

    • Écrit par et
    • 11 074 mots
    • 18 médias
    ...dispersionniste, considère que les biotes d'un biotope sont le produit de la dispersion des espèces à partir d'un centre d'origine. Elle prend sa source au xviiie siècle, avec les idées de Carl von Linné et de Georges Buffon, puis s'affirme avec celles de Charles Darwin et d'Alfred Wallace.
  • BOTANIQUE (HISTOIRE DE LA)

    • Écrit par et
    • 4 844 mots
    • 1 média
    ...majeur dans l'histoire de la botanique et, plus généralement, de la biologie : l'invention du système de nomenclature binominale par le naturaliste suédois Carl von Linné. Dans son ouvrage Species Plantarum, publié en 1753, celui-ci propose de nommer chaque espèce de plante selon un système simple : le...
  • CLASSIFICATION DU VIVANT

    • Écrit par et
    • 7 202 mots
    • 6 médias
    ...morphologiques, physiologiques, comportementaux, écologiques, etc. Mais aucun ne fait vraiment l'unanimité, et la pratique taxinomique reste confuse. C'est le Suédois Carl von Linné, dont on célèbre en 2007 le tricentenaire de sa naissance, qui va mettre un terme à ce chaos en proposant une classification...
  • CRUSTACÉS

    • Écrit par
    • 7 681 mots
    • 7 médias
    En 1758, dans le Systema naturae,Linné place la plus grande partie des crustacés connus à côté des arachnides, parmi les Insecta Aptera, et les rattache à trois genres, dont l'un, Cancer, comprend principalement des décapodes : crevettes, crabes, homard, pagures. Les Lepas (cirripèdes)...
  • Afficher les 13 références