RIBA I BRACONS CARLES (1893-1959)
Enseignant et humaniste, il est le père spirituel de la génération catalane des années qui suivent la guerre civile (1936-1939). Poète, critique et traducteur, il a prétendu, dans ces différents champs d'activité, être celui qui ouvre la voie. Sa conception du poète-prophète rejoint son inclination pour un enseignement de type socratique. Ceux qui furent en 1936 la jeune génération lui doivent leur force et peut-être même le simple fait d'exister.
Critique, son œuvre est à l'écoute des voix nouvelles. Il n'a jamais prétendu ériger en condamnation sa critique ; aussi, en ce domaine, son œuvre reste-t-elle davantage celle d'un pédagogue que celle d'un théoricien. Il s'efforce toujours de dégager l'essence de l'œuvre étudiée, plutôt que sa valeur intrinsèque. Cela explique les nombreux prologues consacrés aux premières tentatives de ses élèves. Il fonde sa critique sur l'intuition et, tout en appliquant aux textes d'autrui les mêmes critères de rigueur et de contention qui sont les siens, il reste avant tout disponible. Son effort de compréhension et sa volonté d'ouverture témoignent de sa générosité (Els Marges, 1927 ; Per comprendre, 1937 ; Més els poemes, 1957).
Traducteur dans le cadre de la Fondation Bernat Metge dès 1925, à Barcelone, il l'a été avec bonheur des littératures dites classiques. Professeur de grec à l'université de Barcelone, il a voulu mettre à la portée du plus grand nombre les ouvrages de base de la civilisation où la Catalogne prend sa source. Travailleur infatigable et lecteur éclectique, il donne dès 1911 une traduction des Bucoliques de Virgile, que suivront des textes de Sophocle, Eschyle, Kavafis, Xénophon ou des livres bibliques — le Cantique des cantiques, le livre de Ruth — ou encore deux versions de L'Odyssée (1919-1948) en rythme restitué. Ce dernier exercice avait une double finalité : amateur passionné et éclairé de la culture hellénique, il veut incorporer les grandes œuvres au patrimoine catalan, mais il vise aussi, en disciple de Vossler qu'il était devenu après son séjour à Munich (1922), un exercice de style et de rigueur qui le conduira à adapter l'hexamètre dactylique élégiaque au système accentuel catalan (Élégies de Bierville). Il traduit aussi Hölderlin, Rilke, Poe, Kafka, Bernardin de Saint-Pierre, Vigny, Cocteau, et encore Grimm et Andersen qui inspireront ses tentatives de conteur.
Héritier du noucentisme littéraire d'Eugenio d'Ors, il professe, en tant qu'enseignant, le goût de l'ouvrage bien fait et se situe aux antipodes des exubérances et de la spontanéité désordonnée de certains de ses contemporains issus du modernisme. On peut voir sans doute dans la rigueur dont il avait fait sa règle de conduite et la norme de sa création la source de son rayonnement et de son autorité sur les jeunes poètes qui venaient chercher auprès du maître et de son épouse, la poétesse Clementina Arderiu, conseils et encouragements.
Intellectuel et ayant choisi de l'être, il reste, même dans son expression poétique, un érudit. La première étape de sa création poétique — El Primer Llibre d'estances (1919), puis El Segon Llibre d'estances (1930) — révèle sa conception du verbe et le relie à la tradition classique, catalane ou non (Homère, Dante, Auzias March). Dans la seconde étape, l'influence plus intellectualisée de Valéry, et celle de Mallarmé surtout, le conduisent à une expression de plus en plus travaillée et l'amènent à préciser l'aspect culturel de son écriture : réminiscences érudites, corrélations et aussi recherche formelle vers une extrême épuration, telle sa tentative d'incorporation de tanka au catalan. La guerre civile, et l'exil qui s'ensuit, amène une rupture et provoque avec les Élégies de Bierville une mutation[...]
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Écrit par
- Montserrat PRUDON : assistante agrégée de l'université de Paris-Sorbonne, secrétaire générale du Centre d'études catalanes
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CATALOGNE
- Écrit par Mathilde BENSOUSSAN , Christian CAMPS , John COROMINAS , Marcel DURLIAT , Robert FERRAS , Jean MOLAS et Jean-Paul VOLLE
- 22 274 mots
- 8 médias
La grande figure des lettres catalanes du moment, le guide et le maître à penser de la jeunesse – le « maître ès espérances », dira-t-on de lui – est sans conteste le poète Carles Riba (1893-1959). Déjà considéré avant la guerre comme un des meilleurs (Estances, 1930 ; Tres Suites...