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GOLDONI CARLO (1707-1793)

Un créateur pragmatique

La prédestination goldonienne est en réalité la conquête difficile d'un marché et d'une écriture dramatique, faite de défis, d'explorations, de recommencements.Une première phase, symbolique de toute sa carrière, allie la découverte des “entreprises” théâtrales de Venise – sept salles publiques, concurrentielles, où triomphe le dramma per musica, pourvues de troupes très hiérarchisées – et l'exploration des genres comiques en vogue, la comédie des improvisateurs peuplée de types figés dans une technique scénique répétitive et l'intermède comique, forme brève de l'opéra. Décisives sont ses rencontres avec des praticiens du spectacle populaire, comme Buonafede Vitali, capocomico d'une compagnie ambulante, ou l'impresario génois Giuseppe Imer, rencontré à Vérone en 1734 et grâce à qui il obtient un contrat au théâtre San Samuele, fief d'Antonio Sacchi, le “meilleur Arlequin du siècle” : Goldoni apprend ainsi à ne pas oublier “le caractère et l'habileté des acteurs”. Fondamentaux, aussi, les intermèdes comiques écrits pour eux, des “graines semées dans son champ pour y recueillir un jour des fruits mûrs”. Avec leurs silhouettes saisies dans leurs activités quotidiennes (pêcheurs, charlatans, coquettes, barbons, sigisbées) et insérées dans les ressorts traditionnels du comique, ils présentent déjà tous les éléments de la dramaturgie goldonienne, un harmonieux mélange entre observation du réel et connaissance des règles de la scène : le Monde et le Théâtre, les deux seuls livres dont Goldoni déclare ensuite s'inspirer. De ces prémisses naît sa conception de la réforme, très pragmatique – il l'exposera “en action” dans sa pièce-manifeste Le Théâtre comique en mettant en scène la répétition hésitante d'une comédie “à l'ancienne” –, qui concerne tout le théâtre comique, lyrique ou parlé, et qui pour la première fois lie le texte, sa représentation et sa réception. Nombreux étaient ceux qui, à Florence, à Naples et à Venise même, avaient tenté de purger la comédie de la mécanique des masques. Mais les solutions proposées restaient textuelles et tributaires de la tradition érudite ou du théâtre de Molière, largement traduit en Italie. Le projet goldonien, exposé dès 1751 dans la Préface à l'édition Bettinelli de ses œuvres, reconnaît la valeur des Toscans, mais rejette l'imitation servile des Français et préconise, pour rendre au théâtre son pouvoir formateur, de faire acquérir à l'acteur “honnêteté” et “réputation”, à l'image du marchand protagoniste des comédies des années 1748-1753, et d'apprendre au public à écouter et à rechercher le plaisir utile, non le seul divertissement. Goldoni ne “liquide” pas la comédie des improvisateurs, mais se coule dans ses techniques en les modifiant progressivement : il supprime le Capitan mais conserve longtemps Arlequin, Pantalon, le Docteur, Brighella, les Amoureux, avec leurs dialectes, gommés ou réécrits ensuite pour l'édition ; dans Momolo cortesan (1738), il n'écrit que le rôle du Pantalon, pour l'acteur Golinetti ; après l'échec de sa première comédie entièrement écrite, La Femme de bon sens (1743), il revient à un canevas partiellement rédigé, Le Serviteur de deux maîtres (1745), pour Sacchi ; il échoue en laissant jouer le Pantalon D'Arbes sans masque dans Tonin Bellagrazia (1745), il le lui restitue dans L'Homme prudent (1748). Par la suite il cherchera toujours à faire “coïncider étroitement le personnage et l'acteur” (Préface à L'Intendante, 1755), et ses innovations dramaturgiques coïncident souvent avec un interprète précis : l'importance de la figure du marchand Pantalon en 1748-1751 ou l'avancée révolutionnaire de la servante comme protagoniste[...]

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Carlo Goldoni - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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