GOLDONI CARLO (1707-1793)
La recherche de l'ailleurs et de l'autrement
Venise et sa sociabilité fondent, dit-on, l'écriture goldonienne, attachée à saisir les rapports humains dans la variété infinie des “circonstances” quotidiennes qui les définissent, dans une prose simple et “vraie” qui doit beaucoup au caractère dialogique et socialement unifié du vénitien. Les comédies dites “de fin de carnaval” (Le Campiello, 1756, ou Les Rustres, 1760, mais aussi Les Cancans, 1751 ; Les Femmes curieuses, 1753 ; Les Cuisinières, 1755 ; Les Bonnes Ménagères, 1756 ; À trompeur, trompeur et demi, 1764, écrite à Paris), ces “petits divertissements, très simples, sans intrigue, mais qui plaisent”, construits autour d'un lieu ou d'un moment collectif de la vie vénitienne, constituent la forme emblématique et permanente de cette écriture, sans doute parce que s'y réalise ce qu'il cherchait par-dessus tout : l'osmose avec le public. Mais cet ancrage vénitien est loin d'être exclusif. L'ailleurs est toujours présent chez Goldoni, dans sa langue comme dans sa géographie. Voyageurs et étrangers ont un rôle qui dépasse celui que la tradition leur donne, et plus de la moitié de ses œuvres sont situées dans des lieux autres que Venise, qu'ils soient italiens ou européens. Il s'agissait de braver la censure, mais aussi d'affirmer la possibilité d'une dramaturgie nationale, voire internationale. Formé aux voyages et à l'observation comparative des groupes sociaux, et de surcroît héritier du cosmopolitisme vénitien, Goldoni est naturellement porté à refuser le provincialisme. Les comédies de la période Medebach, construites autour de comportements moraux ou sociaux transposables à la réalité vénitienne, montrent déjà une volonté d'exploration de nouvelles expressions du comique et une ouverture aux idées des Lumières, largement diffusées à Venise. Dès le diptyque de 1749 (L'Honnête Fille et La Bonne Épouse) et avec Pamela (1750), première comédie sans masques et sans dialecte, adaptée du roman de Richardson et vouée à un grand avenir, il oppose au comique bouffon un comique pathético-larmoyant, dans la ligne du drame bourgeois de Destouches, Piron ou Nivelle de La Chaussée. Son honnête marchand, défenseur de la famille bourgeoise contre les excès des nobles dissipateurs, mêle le modèle vénitien et de probables influences anglaises et françaises pour aboutir à une figure plus européenne (Les Marchands, 1753 ; L'Écossaise, 1762, d'après Voltaire).
Cette exploration s'élargit encore, à partir de 1753, dans les années San Luca, au cours desquelles Goldoni abandonne l'espace familial et vénitien pour des sujets exotiques, des formes d'expression variées et une inspiration plus livresque (triptyque des Ircana, 1754-1757, avec la Bresciani, comédies en vers contre la concurrence acharnée de Chiari). Le manichéisme des personnages et la thématique sociale s'estompent face à la curiosité intellectuelle, sinon à l'engagement polémique : dissertation sur la félicité humaine (dédicace aux Femmes pointilleuses, 1753), échos des théories maçonniques (Les Femmes curieuses, 1753), ouverture sur la philosophie anglo-saxonne et la médecine naturelle (Le Philosophe anglais, 1754 ; Le Médecin hollandais, 1757), plaidoiries pour la sagesse primitive et le métissage culturel (La Péruvienne, 1754, d'après Mme de Graffigny, et La Belle Sauvage, 1758, d'après Voltaire), attirance refoulée à regret pour le libertinage parisien (La Villégiature, 1756). C'est dans ces “années-laboratoire” jalonnées de voyages – Milan, Modène (1755), Parme (1757), qui lui révèle le système théâtral français, et Rome (1758-1759), où il tente en vain d'imposer sa réforme –, qu'il faut chercher les germes du départ pour Paris (avril 1762). Les dernières “grandes comédies”, où Goldoni,[...]
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Écrit par
- Françoise DECROISETTE : agrégé d'italien, docteur d'État, professeur à l'université de Paris-VIII
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Média
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