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GOLDONI CARLO (1707-1793)

Le défi de l'exil

L'invitation de la Comédie-Italienne en août 1761, qui faisait de Goldoni, directeur d'acteurs et librettiste reconnu, le pivot d'un projet d'implantation à Paris de l'opera buffa, hélas avorté, satisfaisait donc – malgré son mépris affiché pour ses livrets, presque absents de ses Mémoires alors qu'ils sont le vecteur de sa célébrité – son besoin de reconnaissance, son désir de l'autrement et sa conception du travail théâtral. Loin d'être une régression, les années parisiennes prolongent la logique goldonienne puisqu'il s'agissait de vérifier si “une main italienne pouvait faire un mélange capable de plaire aux deux nations” (Une des dernières soirées de Carnaval, 1762). “Difficile mais pas impossible”, disait Anzoletto-Goldoni. Mais, en 1764, il déclare avoir “perdu son propre centre” et, en 1766, être entravé par le besoin d'uniformité des Français qui masque la variété des caractères représentables (La Bonne Mère, dédicace). Son engagement réformateur heurte au départ la volonté des Italiens – “la paresse”, selon lui – de préserver leur différence, garante de leur succès, et sa production, dominée par la réécriture de ses comédies en canevas et de ses canevas en comédies, et par l'autobiographie (voir L'Amour paternel, 1763, ou Le Mariage sur concours, 1764, pour Venise), exercices dont il est coutumier, rendent compte de toutes ses difficultés : manque d'argent, recherche d'une langue, crise d'identité. Son repli final vers les Mémoires et la traduction (L'Histoire de Miss Jenny de Mme Riccoboni) fait de son voyage “provisoire” un véritable exil littéraire. Le Bourru bienfaisant, présentée en 1771 à la Comédie-Française avec succès, donne toutefois raison à Anzoletto. Construite autour de la figure emblématique du rustre “empêché de parole” des dernières comédies de Venise, la pièce est une synthèse de toute sa production : texte d'acteurs, construction chorale, comique pathétique. Une fois la langue maîtrisée, Goldoni s'adapte avec brio à l'esthétique théâtrale française, qu'il avait, sur bien des points, devancée, démontrant la cohérence de son parcours.

Créateur pragmatique, soucieux de faire échapper ses textes à l'incomplétude de la scène en les fixant sur la page, Goldoni est un auteur à lire et à jouer. Seul le dialogue entre analyse textuelle et pratique scénique permet une approche complète de son œuvre. Les interprétations réalistes de Lucchino Visconti (La Locandiera, 1952 ; L'Impresario de Smyrne, 1957) et, dans un sens plus poétique, de Giorgio Strehler (La Trilogie de la villégiature, 1954, puis 1974 à Paris ; Barouf à Chioggia, 1964 ; Le Campiello, 1975) ont révélé à la critique l'existence d'un “Goldoni autre”, moins sémillant que celui imposé par la tradition italienne du xixe siècle. Sur leurs traces, et en étroite liaison avec des chercheurs comme Ludovico Zorzi et Mario Baratto, Luigi Squarzina rassemblait en 1967-1973 les trois comédies du “départ” (Les Rustres, La Nouvelle Maison, Une des dernières soirées de carnaval) dans une lecture presque psychanalytique, tandis que Luca Ronconi, avec la sécheresse agressive de son diptyque L'Honnête Fille et La Bonne Épouse (1963) et le naturalisme oppressant de sa Serva amorosa (1986), vérifiait scéniquement les aspects noirs et névrotiques de l'œuvre goldonienne.

— Françoise DECROISETTE

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Carlo Goldoni - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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