GOZZI CARLO (1720-1806)
Le théâtre « fiabesque »
Gozzi n'écrivit jamais que pour dire son désaccord. Ainsi son théâtre « fiabesque » (de fiaba, fable) est né de son impatience devant le succès de Goldoni qui ne tenait, selon lui, qu'à la légèreté et à l'ignorance du public vénitien. Pour prouver que les spectateurs n'étaient que des enfants, il leur servit des enfantillages. L'Amour des trois oranges (L'Amore delle tre melarance, 1761) est en effet l'adaptation scénique d'un conte dont les personnages comiques sont les quatre masques de la commedia dell'arte, Truffaldino, Brighella, Tartaglia et Pantalone. Sous le travesti de la fable, les contemporains n'eurent pas de peine à reconnaître Chiari et Goldoni dont les œuvres étaient tournées en ridicule. Le triomphe remporté encouragea Gozzi à persévérer. La même année fut créé Le Corbeau (Il Corvo), autre fable dans laquelle on vit, nous dit-il, « un miroir moral allégorique pour les monarques qui, lorsqu'ils témoignent une confiance et une amitié aveugles pour leurs ministres, sont transformés en d'abominables personnages ». La polémique était dépassée. En se hissant au niveau d'un conte moral, la fiaba devenait une arme culturelle et n'allait pas tarder à être, avec L'Oiselet Beauvert (L'Augellin Belverde, 1765), dirigé contre l'éthique des Lumières, l'instrument d'un combat idéologique. C'est plus ou moins sensible à travers tout son théâtre, qu'il s'agisse du Roi cerf (Il Re cervo, 1762), tiré du recueil persan des Mille et Un Jours, de Turandot (1762), inspiré du répertoire du « Théâtre de la foire », de La Femme serpent (La Donna serpente, 1762), de la Zobéide (Zobeide, 1763), des Gueux fortunés (I Pitocchi fortunati, 1764), du Monstre bleu (Il Mostro turchino, 1764) ou de Zeim, roi des génies (Zeim, re dei geni, 1765), qui fut un échec.
Les romantiques allemands croiront trouver en Gozzi un précurseur parce qu'ils verront dans ce théâtre populaire le triomphe de l'imagination poétique, un théâtre semblant obéir aux seules lois du caprice et de la fantaisie, un théâtre enfin où le merveilleux fait intrusion dans le monde prosaïque de la réalité et où le comique s'allie avec bonheur au tragique. Il y a là quelque méprise. Le mélange des genres n'existe pas vraiment dans ces pièces où deux mondes se côtoient, celui des masques, qui parlent leur dialecte et représentent le peuple dans toute sa trivialité, et celui des héros, qui parlent en vers et incarnent de grands sentiments. Ces derniers ont la psychologie élémentaire des personnages épiques, tandis que les masques ont un destin tracé d'avance parce qu'ils existent de toute éternité. Ce sont des types qui, certes, ne manquent pas de caractère, mais qui ne peuvent évoluer en dehors de certaines limites fixées par la tradition. Ils interviennent par leurs pitreries pour détendre l'atmosphère tragique qu'essayent de créer les héros de cette épopée naïve pour vieux enfants qu'est la fiaba, théâtre en liberté, sans doute, mais aussi théâtre irrégulier, aux contours mouvants, qui mourra dans une ultime métamorphose.
Après l'échec de sa dernière fiaba, Gozzi essaya de rentrer en grâce auprès du public en écrivant des drames de cape et d'épée imités du théâtre espagnol. De ces pièces médiocres, où paraissaient encore les masques de la commedia dell'arte, on ne retiendra que Les Drogues d'amour (Le Droghe d'amore, 1777), pour le scandale provoqué par le personnage de don Adone, en qui l'on crut reconnaître un secrétaire du sénat de Venise, Antonio Gratarol. Celui-ci se vengea par un pamphlet qui poussa Gozzi à se justifier en écrivant ses Mémoires inutiles publiés par humilité (Memorie inutili pubblicate per umiltà, 1780, mais publiés[...]
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Écrit par
- Norbert JONARD : professeur de langue et littérature italiennes à l'université de Dijon
Classification
Autres références
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LA TRILOGIE DE LA VILLÉGIATURE, Carlo Goldoni - Fiche de lecture
- Écrit par Françoise DECROISETTE
- 1 070 mots
- 1 média
Lorsque les trois comédies composant La Trilogie de la villégiature sont représentées pour la première fois en octobre 1761, à Venise, au théâtre San Luca, Carlo Goldoni (1707-1793) a cinquante-quatre ans. Depuis son entrée dans le monde du théâtre en 1748, il a réussi à imposer aux acteurs le jeu...