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SUARÈS CARLO (1892-1976)

Né à Alexandrie (Égypte), Carlo Suarès a fait des études d'architecture à l'école des Beaux-Arts de Paris. Il commence son activité littéraire en publiant, dans sa ville natale, à partir de 1926, la revue Messages d'Orient dont il partage la direction avec Elian J. Finbert.

L'œuvre de Suarès se développe comme une spirale autour d'une révélation : celle de la conscience qui, se libérant de ses rêves collectifs (religions et idéologies), devient consciente d'elle-même et constate qu'elle est l'aboutissement de l'évolution et de la totalité de l'histoire. Cette autoperception la conduit à s'affranchir de son conditionnement pour accomplir la vocation qu'elle se découvre au terme de la durée : l'indétermination. Cette démarche n'est pas théorique ; elle est perçue comme une nécessité intérieure par la conscience prisonnière de sa condition. L'état d'isolement du moi est, pour Carlo Suarès, l'étape décisive d'un processus qui va de l'indifférenciation à l'indétermination.

Dans son premier ouvrage, Sur un orgue de Barbarie (Paris, 1928), le narrateur découvre, à la faveur d'une crise, que son moi est constitué de tout ce qui, précisément, n'est pas lui : influences familiales, sociales, culturelles, qui sont elles-mêmes les produits de l'histoire. Ce moi se retourne alors contre lui-même dans une recherche éperdue de sa véritable individualité. Joë Bousquet, en lisant Sur un orgue de Barbarie, reconnaît une démarche semblable à la sienne. De son côté, Carlo Suarès découvre que René Daumal exprime dans la revue Le Grand Jeu (no 2, 1929) une perception identique à celle qu'il a lui-même relatée dans La Nouvelle Création (Paris, 1929). Tous trois vont tenter de jeter les bases d'une « psychologie révolutionnaire ». Il fallait, écrira plus tard Carlo Suarès, dégager la notion d'un « moi en mouvement, d'un moi concret, relatif, projeté contre sa propre vie par l'élan, par l'exaspération de cette contradiction qui n'est autre que lui-même ». C'est le but de La Comédie psychologique (Paris, 1932). Ce texte révèle le fonctionnement d'une pensée rigoureuse qui, après avoir rejeté les mythes et leurs représentations, pousse la conscience dans ses derniers retranchements et la contraint à découvrir que l'existence de l'univers est, comme la sienne, incompréhensible. Ils sont l'un et l'autre un mystère impénétrable. Refusant de penser l'impensable, la conscience s'ensevelit volontairement dans son conditionnement afin d'en ressentir les limites. Ce n'est qu'en acceptant de mourir à elle-même qu'elle peut s'ouvrir au surgissement de l'immanence créatrice.

Cette vocation de la conscience humaine pour l'indétermination, Carlo Suarès la découvre dans les cinq premiers chapitres de la Genèse. Selon lui, le texte sacré ne raconte pas la création de l'univers mais est constitué par un code qui rend compte des rapports que la conscience entretient avec l'univers et avec elle-même. Ce code, parce qu'il est l'objet d'une transposition dans une langue profane d'origine sensorielle, est lu « à rebours ». Ainsi l'histoire du péché originel, telle qu'elle est contée dans un langage imagé, maintient la conscience à un stade infantile. La peur d'un Dieu autoritaire, jetant des interdits tout en semant des pièges, distribuant punitions et récompenses, conduit la psyché à voir comme un « bien » tout ce qui est statique et comme un « mal » tout ce qui brise les structures constituées. Aussi la conscience s'ancre-t-elle dans la nostalgie d'une vie prénatale qui la mettrait à l'abri de la vie même et cherche-t-elle à s'enfermer à l'intérieur des cloisons étanches de ses certitudes. En appelant « mal » le fruit cueilli sur l'arbre de la connaissance,[...]

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