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CASTANEDA CARLOS (1925-1998)

Plusieurs raisons justifient qu'un ethnologue évoque l'œuvre de Carlos Castaneda. Ses livres, une dizaine en tout, s'appuient sur une rencontre supposée avec un « sorcier » amérindien et, dès leur parution, ils ont divisé la communauté des anthropologues. Leur succès foudroyant nous informe sur une vision de l'altérité et la recherche d'un nouvel univers religieux en Occident. Ils nous interrogent sur la technique dite d'observation participante et sur les rapports de l'ethnologie à l'écriture. Enfin, même si le mot chamane n'y apparaît jamais, ils sont la référence des adeptes du « néo-chamanisme ».

Durant plusieurs étés, entre 1960 et 1968, Carlos Castaneda, apprenti ethnographe nord-américain originaire d'Amérique latine, serait devenu l'élève de Don Juan Matus, indien d'origine yaqui spécialiste en « sorcellerie », en plantes médicinales et hallucinogènes. Il fait de son maître le portrait d'un grand pédagogue qui l'initie aux psychotropes, lui fait prendre conscience de la relativité des perceptions et lui apprend à « voir » et non plus à « regarder » afin d'éprouver « les forces mystérieuses du monde » et de devenir « homme de savoir » et « homme de pouvoir ». Don Juan devient un moralisateur auquel il fait dire son rejet de la science et du mercantilisme, sa recherche de « liberté intérieure ». Ses paroles ont d'autant plus d'impact qu'elles sont censées venir d'un sorcier, « dont les yeux brillaient d'un éclat singulier », et d'un autre monde, traditionnel, exotique, même si la société yaqui, décimée au xixe siècle, ne sert là que de discrète toile de fond, avec quelques données sur son chamanisme – ou plus vraisemblablement sur celui toujours très vivant des Huichol du Mexique.

Don Juan a fait « le voyage en ville ». Il parle pour l'homme occidental dont il connaît les points faibles et les angoisses, les mutilations et les dépits. Carlos Castaneda en est d'ailleurs la caricature sympathique. Face à ses peurs et à ses réflexions, souvent naïves, habilement mises en scène, les critiques ou moqueries prêtées à Don Juan sont grandies. Castaneda – via Don Juan – devient un prophète nous promettant « la connaissance », la découverte des « états de réalité non ordinaire ». On apprend en le lisant à « contrôler ses émotions », à « trouver son équilibre » et à accéder à une vérité chamanique universelle.

Pour expliquer son succès, on peut voir aussi derrière cette œuvre une rencontre pathétique – à supposer qu'elle soit réelle – entre un Indien ayant perdu sa culture, bousculée par la nôtre, et un Occidental voulant changer la sienne : ils se seraient épaulés pour imaginer de nouveaux repères. D'ailleurs, Don Juan fait seulement de vagues références aux mythes et au monde-autre qui devraient être les siens. Il nous parle, sans plus de précisions, d'« alliés », d'« esprits malfaisants », de « choses qui s'attaquent aux hommes la nuit », d'« entités des montagnes ou de la nuit ». De son côté Carlos Castaneda, via Don Juan, nous propose une transcendance sans dieux, hors société, ou une attitude face à la « nature » qui rappellerait l'immanence chamanique. Il nous invite à une « illumination spirituelle » conforme à l'idéologie de notre société. La drogue ouvrirait la voie à un ailleurs libre, ouvert, à une « vérité profonde » que l'on pourrait même, en fin d'initiation, atteindre sans elle. Rien à voir avec ces mondes-autres habités d'êtres surnaturels dont parlent les ethnologues, trop compliqués et lointains pour bien des lecteurs occidentaux. Pour qui a connu des sociétés indiennes et écouté des chamanes, les livres de Castaneda s'entendent donc comme une projection,[...]

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