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DRUMMOND DE ANDRADE CARLOS (1902-1987)

Une poésie conceptuelle

D'ombre et de temps

L'ombre, le crépuscule, les ténèbres, la nuit apportent au poète une clarté que le jour lui refuse, que le jour trouble. L'ombre donne accès à un ordre d'êtres et d'objets dont la figure extérieure n'apparaît pas au regard mais que l'œil de l'esprit appréhende avec une netteté d'autant plus grande qu'il en a une représentation seconde et quintessenciée. Ce qui accapare l'attention du poète n'est pas ce qui se voit, mais ce qui se conçoit. La nature devient le chiffre d'un rapport qu'il établit avec le monde par sa volonté d'« annuler la créature » pour accéder au « profond instinct d'exister ». L'ombre est le lieu de cette « complétude » recherchée, le crépuscule est l'heure de la conscience et de la révélation de la géométrie cachée et énigmatique du « noyau du monde ».

Le motif de l'ombre renvoie au temps considéré par le poète comme « sa matière ». De ce temps, midi est le centre et l'assise reconnue, la plus belle heure entre toutes parce qu'elle unit et sépare ombre et lumière, l'heure où « se consomment les noces de ce qui vit et de ce qui a vécu ou va vivre ». Le jour, d'une nature aussi paradoxale que la nuit, réunit, d'une part, les crépuscules dans sa lumière et dans son espace temporel et, d'autre part, dégage trois moments crépusculaires : le présent, le passé, l'avenir. Ce dernier n'apparaît pas toutefois dans l'œuvre comme une dimension de projets réalisables ; il y entre comme une provision de l'époque présente, que le poète chante exclusivement, puisqu'elle est l'espace où le concept est engendré, et la poésie de Carlos Drummond de Andrade est une poésie conceptuelle. Le présent investit constamment le passé ; de même que l'avenir est provision du présent, le présent est provision de passé et, pour parler comme le poète, « s'élide » dans le passé lors de l'« annulation » de la créature. C'est pourquoi le poète nie le temps et propose son œuvre comme étant « sans temps ». Il en exclut donc l'événement – l'événement l'ennuie – tant que celui-ci n'est pas l'avènement de la perfection, de l'épanouissement total. Alors l'événement est signe de cette réalisation totale qui ne peut avoir lieu que dans l'instant. Il est figure de temps et mesure de « temps terrestre », où toute perfection atteinte marque le début d'un déclin, si bref et si ambigu qu'il n'a guère d'existence, ce qui fait dire que le monde « n'existe pas ». De là l'ambivalence contradictoire du présent, tantôt senti comme instant précieux, unique, irremplaçable, tantôt comme dépourvu d'importance. Il n'a d'importance que s'il est retenu par un témoin. Tout ce qui vit ou existe prend appui sur la conscience de l'homme, qui devient ainsi une des figures ou formes du temps, et, comme toute forme « naît perpétuellement », la forme perçue dans l'instant est versée dans l'éternité.

Et le poète déclare vouloir être « éternel », et non pas « immortel », dans l'acception courante de ce terme. Lui, « incertaine médaille », « poète précaire », atteint son but en se faisant reconnaître comme forme dans laquelle, à force d'en exclure l'existence, il ne retient que son être. Toute forme est l'aboutissement de cette démarche. Rien n'est plus éphémère que la fleur, pourtant elle accède à l'éternité au moment où son épanouissement est complet ; plus fugace encore, la danse n'est pas mouvement, mais mouvement arrêté, réduite à l'instant où en elle se concentre la perfection de la grâce humaine. Ainsi tout accomplissement se pétrifie[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur à l'université de Poitiers

Classification

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