FUENTES CARLOS (1928-2012)
Présent sur tous les fronts de l'écriture – romans, nouvelles, théâtre, essais, journalisme –, Carlos Fuentes n'a jamais cessé, tout au long de son œuvre, de s'interroger sur le langage, le temps, l'histoire, la culture, l'éducation et les différentes formes de pouvoir. En 2002, il publie une sorte de bréviaire, Ce que je crois, dans lequel sont rassemblés par ordre alphabétique ses centres d'intérêt littéraires – on trouve là ses auteurs phares : Balzac, Cervantès, Faulkner, Kafka, Shakespeare – ou culturels : Buñuel et le cinéma ; Velázquez et la peinture, à laquelle il a consacré en 2003 un recueil d'articles, Viendo visiones, mais aussi les éléments de son éthique personnelle. Dans l'essai historique qu'il publie en 1992, Le Miroir enterré, il martèle l'idée qu'il existe selon lui un formidable hiatus entre la créativité du sous-continent dans le domaine culturel et le chaos économique, politique et social dans lequel sont plongés la plupart des pays latino-américains. Observateur attentif de la société mexicaine (Un temps nouveau pour le Mexique, 1997), il met en scène, dans Le Siège de l'aigle (2003), un roman épistolaire, les luttes souvent meurtrières qui se livrent dans les coulisses du pouvoir central, autour du fauteuil présidentiel. Apôtre de la convivialité et de la pluralité, Fuentes considère le Mexique comme un pays (« baroque », dit-il) où coexistent plusieurs traditions : la cosmologie indigène, l'interprétation espagnole du christianisme, l'individualisme bourgeois d'origine européenne, la foi dans la science, la raison et le progrès des pays industrialisés. Toutes sont à prendre en compte, ce qui explique que, dans son essai de 2004 Contre Bush, il réfute avec vigueur les thèses sur le « péril métis » développées par Samuel Huntington.
La découverte de Mexico
Carlos Fuentes est né en 1928 à Panamá. Romancier, essayiste, dramaturge, il sera également rédacteur au journal El Espectador et directeur de la Revista mexicana de literatura. Il participe à la vie politique mexicaine.
En 1958, son premier roman, La Plus Limpide Région déclencha d'innombrables controverses : certains, comme Octavio Paz, parlèrent de première vision moderne de Mexico ; d'autres crièrent au parjure, au dénigrement du peuple mexicain, à l'obscénité. Il est vrai que l'ironie jaillissait dès le titre, emprunté à Alfonso Reyes, qui avait lui-même repris l'expression qu'utilisaient les Aztèques pour qualifier le plateau central du Mexique. Mais ici l'air est pollué, la violence et la solitude obscurcissent la vie des citadins. Au chaos de la vie urbaine répond un récit éclaté, fragmenté, où l'espace et le temps forment un gigantesque kaléidoscope, comme dans Manhattan Transfer, de John Dos Passos, modèle reconnu par Fuentes. « Roman-collage », sans héros, La Plus Limpide Région est l'intra-histoire d'un être collectif. Fuentes a transposé dans son roman certains thèmes majeurs présents dans l'œuvre des grands essayistes mexicains contemporains : la tension entre mythe et histoire, entre temps subjectif et objectif, entre le désir et son objet.
Dans les romans suivants, Carlos Fuentes approfondit et universalise ces interrogations. Dans La Mort d'Artemio Cruz (1962), dont la construction très élaborée rappelle celle des Palmiers sauvages de William Faulkner, un banquier, Artemio Cruz, est aux portes de la mort. Le récit passe en un savant contrepoint de son agonie à des évocations de son passé de plus en plus lointaines, jusqu'à fusionner finalement sa naissance et son décès. À travers ce cycle fermé de la vie et de la mort, il ne s'agit pas pour Fuentes de raconter l'histoire d'un parvenu, mais d'invoquer les pulsions secrètes que laisse deviner l'évolution du Mexique. L'existence « schizophrène[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Claude FELL : professeur émérite à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Autres références
-
LE BONHEUR DES FAMILLES (C. Fuentes) - Fiche de lecture
- Écrit par Claude FELL
- 1 036 mots
- 1 média
En 2002, dans Ce que je crois, ce glossaire où il formulait ses convictions, Carlos Fuentes, entre « Expérience » et « Faulkner », ouvrait une rubrique « Famille » : « Nous formions une heureuse famille », notait-il en revenant sur sa généalogie personnelle. Aux yeux de Tolstoï, donc, ce n'était pas...
-
AMÉRIQUE LATINE - Littérature hispano-américaine
- Écrit par Albert BENSOUSSAN , Michel BERVEILLER , François DELPRAT et Jean-Marie SAINT-LU
- 16 963 mots
- 7 médias
L’écrivain mexicain Carlos Fuentes, dont la virtuosité technique élabore dans La muerte de Artemio Cruz (1962, La Mort d'Artemio Cruz), à travers la confession d'un agonisant, un nouveau monologue intérieur à trois personnes – Je-Tu-Il –, donne quelques-uns des grands romans du moment, ... -
EXIL LITTÉRATURES DE L'
- Écrit par Albert BENSOUSSAN
- 3 314 mots
- 6 médias
...mal – ou encore ce malheur-là n'est pas de même nature – à quitter leur pays, dès lors qu'ils rejoignaient la vaste hispanité, celle dont le Mexicain Carlos Fuentes a fait la description aussi précise qu'ironique, plus culturelle que géographique, et d'une rare vérité dans la démystification des racines... -
TERRA NOSTRA, Carlos Fuentes - Fiche de lecture
- Écrit par Claude FELL
- 1 569 mots
- 1 média
En dehors de Paradiso (1966), du Cubain José Lezama Lima, on n'a pas d'exemple, dans la littérature latino-américaine contemporaine, de tentative romanesque aussi ambitieuse que Terra Nostra (1975), du romancier mexicain Carlos Fuentes (1928-2012).