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LISCANO CARLOS (1949-2023)

Lorsque paraît en 2005 La Route d’Ithaque (1994, El Camino a Ítaca), son premier roman traduit en France, Carlos Liscano, né à Montevideo le 18 mars 1949, n’est pas tout à fait un inconnu. Ma Famille (Mi Familia), nouvelle tirée de son recueil El Informante y otrosrelatos (1997, Le Rapporteur et autres récits) et adaptée au théâtre, est représentée avec succès depuis 1998 sur différentes scènes et dans divers festivals français. Toutefois, c’est La Route d’Ithaque qui attire l’attention de la critique et du grand public sur cet écrivain uruguayen au parcours peu commun : militant de gauche depuis l’adolescence, il entre dans la clandestinité au côté des Tupamaros en lutte contre la dictature militaire uruguayenne et fait en 1970 un premier séjour en prison. De nouveau arrêté le 27 mai 1972, emprisonné et torturé, il ne sera libéré que le 14 mars 1985.

Étudiant chercheur en mathématiques lors de son incarcération, grand lecteur depuis toujours, Carlos Liscano va devenir au cours de ces treize années de détention un écrivain qui, initialement privé de tout moyen d’écrire, entreprend de composer mentalement son premier livre, La Mansióndeltirano, pour échapper dira-t-il plus tard à la folie qui le menace. Ce qui n’est tout d’abord qu’une sorte de thérapie se révèle une vocation : « Un jour je décidai, ou plutôt, un jour je sus que lorsque je sortirais de là je serais écrivain ; je ne savais pas si je serais un bon ou un mauvais écrivain ni si quelqu’un me lirait, mais je sus avec certitude que je serais écrivain. » Quand il dispose par la suite d’un crayon et de papier, il rédige son livre en secret, mais son manuscrit est confisqué par un de ses gardiens. Il parvient à le réécrire et le confie à un camarade libéré avant lui qui peut le sortir de prison. La Mansióndeltirano sera publié en 1992 en Uruguay.

Libéré après la chute de la dictature, Carlos Liscano part pour la Suède où il restera jusqu’en 1996, travaillant comme professeur d’espagnol puis comme traducteur du suédois. Il fera dans El Furgón de los locos (2001, Le Fourgon des fous), publié seize ans après sa libération, le récit sans emphase et froidement descriptif de ses années de torture et d’emprisonnement. Ce livre suscite l’admiration de la critique et peut être considéré comme l’un des plus extraordinaires témoignages sur l’enfermement et la dictature.

En 2007 paraît en France Souvenirs de la guerre récente (Memorias de la guerrareciente, Stockholm, 1988), variation sur le thème de l’attente, qui revendique l’influence du Désert des Tartares de Dino Buzzati, comme La Route d’Ithaque propose une « réécriture » du Voyage au bout de la nuit de L.-F. Céline. Par la suite, en « panne d’inspiration », Liscano livre avec ses œuvres suivantes, El Escritor y el otro(2007,L’Écrivain et l’autre) et Vida delcuervo blanco (2015,Le Lecteur inconstant, suivi deVie du corbeau blanc) de passionnantes réflexions sur l’identité de l’écrivain et sur l’impossibilité d’écrire, le second de ces titres constituant aussi une tentative de réappropriation de grandes œuvres de la littérature universelle telles que Moby Dick ou l’Odyssée.

Parallèlement à cette activité littéraire, Carlos Liscano renoue après son retour en Uruguay avec son engagement politique. Les dirigeants de son pays, pour certains anciens compagnons de captivité, lui confient des charges importantes : après avoir été quelques mois vice-ministre de la Culture, il est nommé directeur de la Bibliothèque nationale de l’Uruguay. Dans le même temps, il consacre une grande partie de ses forces à enquêter sur l’affaire Gelman, du nom du poète et intellectuel argentin Juan Gelman (1930-2014) qui a passé vingt-cinq ans de sa vie à rechercher sa petite-fille, enlevée par les militaires après que ceux-ci eurent exécuté ses parents. Cela donnera[...]

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Écrit par

  • : agrégé d'espagnol, maître de conférences honoraire à l'université de Toulouse-II-Le Mirail
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

Classification

Autres références

  • AMÉRIQUE LATINE - Littérature hispano-américaine

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    • 16 963 mots
    • 7 médias
    ...(1997, Le Dégoût. Thomas Bernhard à San Salvador), La diabla en el espejo (2000, La Mort d'Olga María), Insensatez (2004, Déraison). En Uruguay, Carlos Liscano (1949-2023) exprime la violence des dictatures dans El camino a Ítaca (1994, La Route d'Ithaque) avant d’écrire ses souvenirs de...