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CARLOS (O. Assayas)

Fallait-il montrer à Cannes, dans un festival international « de cinéma », Carlos, un film « de télévision » de cinq heures et demie en trois épisodes, produit par Canal Plus et diffusé simultanément sur cette chaîne, alors que la version réduite destinée au cinéma (Le Prix du Chacal) ne sortirait que quelques semaines plus tard ? Une seule projection a suffi à faire taire la polémique, donnant raison à son réalisateur, Olivier Assayas. Carlos est réalisé dans « un esprit et un style cinéma ». Retracer la carrière du terroriste qui attira l'attention du monde entier par ses actions violentes durant près de deux décennies nécessitait à la fois une telle durée et le budget de quinze millions d'euros que l'industrie cinématographique seule ne pouvait s'autoriser.

Carlos (2010) s'inscrit dans la vogue des biopics, après notamment Che (2008), Mesrine (2008) ou Vincere (2009). Pourtant, retracer la vie d'Ilich Ramírez Sánchez depuis les premiers attentats de 1973 jusqu'à son arrestation en 1994 peut surprendre chez un cinéaste tel qu'Olivier Assayas. Cet ancien critique des Cahiers du cinéma, promoteur en particulier des cinémas asiatiques, fut ensuite, de 1986 à 1994, un fin observateur des sentiments de sa génération, décrivant en particulier le passage de l'adolescence à l'âge adulte (Désordre, 1986 ; L'Enfant de l'hiver, 1988 ; Paris s'éveille, 1991 ; L'Eau froide, 1994), et plus tard le mal-être des adultes poursuivis par leur passé (Fin août, début septembre, 1998 ; L'Heure d'été, 2008...). Irma Vep (1996) marque un tournant vers le romanesque via les Vampires de Louis Feuillade, ce que confirment Les Destinées sentimentales (2000), d'après le roman de Jacques Chardonne. Demonlover (2002) et Boarding Gate (2007) reprennent le thème du passage d'un monde ancien à un monde de plus en plus contemporain et virtuel, ouvrant ainsi la voie à la fresque de Carlos.

Chronologique, rapide, construit avant tout sur l'évocation d'opérations de guérilla urbaine entrecoupées de nombreuses ellipses, Carlos est d'abord un remarquable film d'action, mêlant fiction filmée à la manière d'un reportage et documents dont le rythme épouse la trajectoire du héros : énergie débordante, y compris sexuelle, enlèvements, séquestrations, attentats sanglants, construisant la notoriété du militant activiste pro-palestinien, calme pesant d'une attente sans but lorsque le terroriste devenu encombrant, après la fin de la guerre froide et la chute du Mur de Berlin, se mue en aventurier et mercenaire. Plusieurs générations de spectateurs ont retrouvé dans le film des événements dont ils furent les contemporains ou que la rumeur a transformé en légende : attentat du drugstore Saint-Germain, attaque d'avions de la compagnie El Al à Orly, séquestration des ministres de l'O.P.E.P. à Vienne, attentats à la bombe du train Capitole Paris-Toulouse, de la rue Marbeuf, de la gare Saint-Charles à Marseille...

Quelle vision de Carlos nous propose le film d'Assayas ? Aucune, pourrait-on dire. Carlos n'a rien d'un dossier à charge à la manière de Costa-Gavras ou de Francesco Rosi. Ce n'est pas davantage une analyse géopolitique des révolutions sud-américaines comme Che de Steven Soderberg. Les nombreuses informations précisément datées qui présentent chaque lieu et chaque nouveau participant sont trop rapides et multiples, les ellipses trop fréquentes pour que le spectateur puisse se repérer réellement. Le film n'est pas non plus un portrait psychologique de celui qu'on a surnommé « el Chacal ». On n'apprend rien de Carlos avant 1973 et quelques lignes résument ce qui suit son arrestation. De quoi renforcer à première vue le mythe d'un héros tout-puissant, traversant le temps et les frontières, puis celui de l'homme déchu expiant[...]

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

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