CARMEL
La mystique carmélitaine
Thérèse d'Avila et Jean de la Croix, l'un et l'autre en raison de la qualité de leur expérience et d'un sens psychologique très aigu, sont devenus les guides de générations de contemplatifs. C'est en partie grâce à leurs écrits que les Carmes restent fidèles à la tradition du Mont-Carmel. Thérèse d'Avila définit bien le sens de la vocation carmélitaine : « Nous qui portons ce saint habit du Carmel, nous sommes appelées à l'oraison et à la contemplation. Telle a été en effet notre première institution. Nous descendons de cette race de saints religieux du Mont-Carmel qui ne s'enfonçaient dans une solitude si profonde et ne vouaient au monde un mépris si absolu que pour aller à la recherche de ce trésor, je veux dire de cette pierre précieuse. »
Ainsi l' oraison désigne moins un moment qu'un état. L'âme s'oriente déjà vers Dieu dans la méditation d'un thème, un épisode de la vie du Christ par exemple. Le sujet méditant n'a pas à faire appel d'abord à son imagination, il est surtout invité à se mettre en présence de Dieu. Il lui importe plus d'aimer que de discourir. Les rapports entre Dieu et l'âme participent de l'échange amical, de l'amitié réciproque. Peu à peu, le simple regard succède au colloque affectif : l'âme se tient dans le silence et reçoit l'infusion de la lumière divine.
Le passage est insensible de la méditation à la contemplation. Comparable à une préparation, la méditation n'est qu'un relais : quand la lumière divine envahit l'âme, ensevelie dans le silence, la voie de l'union est ouverte. Une transformation s'est opérée, tout entière due à la grâce. Jean de la Croix décrit la longue purification qui précède l'union transformante : aridité, angoisse, nuit des sens. Les imperfections doivent être consumées. L'âme subit un sort analogue à celui que le feu fait subir au bois, le blessant, le dépouillant jusqu'à ce qu'il devienne feu.
Dans le vocabulaire carmélitain, qui sera généralement accepté par toutes les écoles à partir du xviie siècle, la contemplation est soit acquise soit infuse : dans le premier cas, l'âme collabore à l'action qui s'opère en elle, dans le second, elle demeure passive. Dans la contemplation passive, l'âme qui s'est placée sous la mouvance de l'Esprit-Saint accède à une connaissance de Dieu, obscure et unitive. Si le mystique peut souhaiter la contemplation infuse, il n'y accède jamais par son seul désir. Il lui appartient seulement de s'y préparer par un total dépouillement des images, un dépassement du sensible et aussi de l'intelligible. Le reste relève du dessein mystérieux de Dieu, et Dieu est un Dieu caché qui doit être découvert dans le mystère.
Les ouvrages de Jean de la Croix et de Thérèse d'Avila témoignent de leurs propres expériences spirituelles : ils représentent aussi l'essentiel de l'enseignement du Carmel sur l'oraison. Un dernier point mérite d'être souligné : les visions, les différents phénomènes qui affectent le corps ne manifestent pas la réalité de la vie spirituelle, puisque, au contraire, ils s'expliquent par la faiblesse des facultés humaines, incapables de supporter sans traumatisme l'invasion de l'invisible. Aussi est-ce pour les âmes « résolues à passer par la nudité de l'esprit » que Jean de la Croix dit avoir composé ses livres.
La mystique du Carmel s'exprime souvent dans un lyrisme affectif, aussi bien chez les auteurs d'origine espagnole que, par exemple, chez Thérèse de l'Enfant-Jésus. D'où son charme particulier, fait de poésie et de musique. L'âme contemplative carmélitaine possède le sens du rythme et de la beauté. Est-ce le résultat de l'esprit d'enfance qu'elle a tout[...]
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Écrit par
- Marie-Madeleine DAVY : maître de recherche au C.N.R.S.
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