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LAFORET CARMEN (1921-2004)

En Espagne, dans le climat désolé de l'après-guerre civile espagnole (1936-1939), la publication de Nada, peu après La Familia de Pascual Duarte (1942) de Camilo José Cela, fit également sensation. L'auteur du roman, une jeune fille de vingt-trois ans, reçut, dès sa création, le prix Nadal (1945), l'équivalent en Espagne du prix Goncourt français. Accueilli avec enthousiasme, ce livre au titre insolite (Rien) fait date dans l'histoire de la littérature espagnole du xxe siècle. Le reste de l'œuvre de cette romancière précoce, née à Barcelone le 6 septembre 1921, ne fut pas à la hauteur de ce coup d'éclat.

Nada est le récit autobiographique d'une jeune fille pauvre de dix-huit ans, venue faire ses études à l'université de Barcelone. L'intrigue se déroule au cours de l'année académique 1939-1940. Le spectacle de la ville fascine Andrea. Mais elle déchante vite, quand elle pénètre dans le sordide appartement de sa grand-mère maternelle, où habitent également les enfants de celle-ci : Román, musicien de talent, exalté et sadique, qui finira par se suicider ; Juan, peintre raté, qui ne cesse de battre sa femme ; Angustias, vieille fille toquée, qui finira sa vie au couvent. Ce microcosme familial inquiétant, suggéré avec autant d'intensité dramatique que de sobriété expressive, constitue une représentation fidèle de la petite bourgeoisie catalane ravagée par la guerre.

Ena, une compagne d'études, va faire découvrir à Andrea une société plus huppée, celle des riches industriels catalans. Les milieux sociaux s'entremêlent quand Ena, ayant appris que sa mère avait été jadis éperdument amoureuse de Román, cherche à comprendre et à venger cette fascination. Ainsi le petit monde où est enfermée Andrea s'ouvre-t-il à d'autres horizons : l'égoïste et luxueuse bourgeoisie barcelonaise, les cercles bohèmes et fantasques des fils à papa. Au-delà de la destinée de personnages hauts en couleur, ce roman d'apprentissage et de frustration, écrit avec une grande fraîcheur de ton et une vive sensibilité, garde l'empreinte de la navrante réalité quotidienne de toute une époque.

D'autres romans mêleront à leur tour l'autobiographie et la fiction. La Isla y los demonios (1952), dans un climat aussi désolé que celui de Nada, évoque l'adolescence d'une jeune fille, dans l'île de Grande Canarie, où l'auteur avait vécu dans sa jeunesse. La Mujer nueva (1955), prix national de littérature et prix Menorca, reflète une crise religieuse de la romancière. La Insolación (1963) est le premier volume d'une trilogie, laissée en friche (Tres Pasos fuera del tiempo), mais dont la deuxième partie (Al volver la esquina) est parue trois mois après la mort de l'auteur. Carmen Laforet a également publié des recueils de contes (La Muerta, 1952 ; La Niña y otros relatos, 1970), des nouvelles (La LLamada, 1954), un essai (Gran Canaria, 1961) et des récits de voyage aux États-Unis (Paralelo 35, 1967 ; Mi Primer Viaje a USA, 1981). La correspondance échangée avec Ramón J. Sender (Puedo contar contigo, 2003) éclaire de façon émouvante la personnalité de l'écrivain et explique la distance qu'elle voulut délibérément garder à l'égard de la vie publique littéraire.

— Bernard SESÉ

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Écrit par

  • : professeur émérite des Universités, membre correspondant de la Real Academia Española

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