CARNAVAL
Les carnavals de rue
Fête initialement religieuse et rurale, symbole du chaos et de la régénération du monde et des âmes, le carnaval devient fête urbaine à l'apparition des cités médiévales. Les bourgeois s'approprient cette culture populaire, la transposent dans le temps et l'espace de la cité, lui imprimant une portée plus satirique, une dimension de critique sociale. Mannequins géants ou grosses têtes caricaturales règnent dans les rues étroites des cités et les défilés de chars à thème des confréries font leur apparition. Le rôle des corporations perdure encore dans les carnavals rhénans d'aujourd'hui.
Évolution historique
Dans l'Antiquité, les saturnales et lupercales des Romains, fêtes célébrées respectivement en décembre et en février, étaient l'objet de débordement licencieux de la part des participants : on jouait à l'inversion des sexes (les hommes se déguisaient en femmes) et à l'inversion des rôles (l'esclave devenait le maître pour une journée). Ce thème de l'inversion ou du monde à l'envers donna au Moyen Âge la journée des fous. Malgré ses critiques et ses condamnations constantes, l'Église catholique ne parvint pas à réprimer le caractère païen et libertin du carnaval qui connut une forte expansion au Moyen Âge, gagnant de très nombreuses cités en Italie, en France, en Allemagne, en Flandre, aux Pays-Bas et en Espagne.
La première mention d'un carnaval urbain date de 1141 et concerne Rome, avec les jeux organisés dans le quartier du Testaccio, et la course de taureaux qui avait lieu aux portes de la cité, à l'Aventin, qui sera déplacée par la suite sous les fenêtres du pape, via del Corso, afin qu'il puisse y assister. À Nice, la chronique fait état de la venue en 1294 du comte de Provence, Charles II, duc d'Anjou, dans sa bonne ville, où il assiste au carnaval. Il s'agissait de bals, mascarades, banquets, danses et bateleurs dans les ruelles étroites de la colline du château.
Mais c'est à l'époque de la Renaissance que les défilés carnavalesques se développent dans les cités, parodies des cortèges d'entrées des princes dans la ville ou contre-pied des processions religieuses. À Rouen, Valenciennes, Lyon, les jeunes gens créent de joyeuses et tapageuses assemblées – confréries des Conards, de l'Estrille, des Fols –, qui organisent les « jeux du monde à l'envers » : concours de mensonges et de fatrasies, blasphèmes rituels et prières adressées à des saints ridicules, charivaris, soties, théâtre de rue.
En Italie, sous l'influence des Médicis, les fêtes carnavalesques avaient pris à la fin du xve siècle une tournure différente, qui s'inspirait davantage de l'héritage gréco-latin, des fêtes d'inversion et de dérision des Saturnales et des Bacchanales. En 1513, Julien de Médicis fait défiler dans les rues de Florence le char du triomphe de la Vieillesse ; en 1546 le thème de la Tolérance universelle était symbolisé par le Trionfo di Tutto il mondo ; en 1550, on célébra le triomphe de l'Enfer ; en 1556, celui des Songes (gloire, richesse, beauté) ; en 1568, la Fortune règne sur le monde à l'envers. Les cortèges de chars prennent de l'importance au xvie siècle sous l'influence du carnaval florentin.
Plus au nord de l'Europe, à Nuremberg, le Schembartlaufen (course des schönbart, des « belles barbes », personnages hirsutes à barbe abondante, qui a donné en « chambard » français), était par son importance, sa richesse, une manifestation comparable à celle de Florence. Il fut supprimé en 1539. Mais plutôt que la mythologie, le merveilleux et l'exotisme inspiraient les auteurs du cortège, notamment avec le thème de la Nef des Fous (Das Narrenschiff) repris du poème satirique au succès foudroyant publié par Sébastien Brant,[...]
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Écrit par
- Annie SIDRO : présidente de Carnaval sans frontières, ancien expert-consultant auprès de l'U.N.E.S.CO. pour les carnavals, D.R. en histoire (université de Nice), D.E.S.S. en psychologie sociale et clinique (université de Nice)
Classification
Média
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