GILLIGAN CAROL (1936- )
Vers un élargissement de la notion de justice
Prendre la mesure de la centralité du care non seulement comme dimension de la moralité mais comme dimension de la forme de vie humaine permet de reconnaître que la dépendance et la vulnérabilité ne sont pas des accidents de parcours qui n’arrivent qu’aux « autres » : ce sont des traits propres à la condition de chacun.
Si le terme vulnérabilité n’est pas central dans la formulation de Carol Gilligan, c’est qu’elle privilégie une notion de responsabilité aux antipodes de la responsabilité libérale qui ne concerne que les relations contractuelles entre adultes compétents, en bonne santé et actifs. La responsabilité du care, elle, est toujours le résultat d’une compréhension de la complexité morale des relations inégales dans lesquelles se situent les femmes.
Le care se caractérise par une insistance sur le concret et le particulier. Gilligan montre qu’en concevant la morale seulement comme justice on manque des caractéristiques essentielles de l’éthique. Gilligan propose non pas de remplacer la justice par le care mais d’arriver à une vision morale et politique véritablement plus juste et universelle, qui ne laisse pas de côté les activités et les questionnements de toute une part de l’humanité.
La force de la position de Gilligan est, paradoxalement, de n’être en rien « différentialiste » ou essentialiste, mais bien de prendre en compte l’ensemble des voix éthiques. L’éthique du care proposée par Gilligan est donc bien « féminine parce que féministe » et non l’inverse. Elle doit être envisagée en termes de démocratie et de résistance au patriarcat, comme le démontrent ses ouvrages plus récents, qui élargissent la notion de care, notamment à propos de la démocratie et des droits des homosexuels. Citons notamment Between Voice and Silence : Women and Girls, Race and Relationship (1995, avec Jill McLean Taylor et Amy Sullivan), The Deepening Darkness : Patriarchy, Resistance and Democracy’s Future (2009), en collaboration avec David Richards, et Joining the Resistance (2011).
Bien que les réflexions politiques contemporaines sur le care se soient souvent engagées dans une critique de l’approche de Gilligan, accusée d’être trop centrée sur l’individualisme maternel, et nécessitant donc un « passage » au politique, on peut constater que son œuvre ouvre sur l’ensemble des enjeux présents les plus cruciaux de la politique et de la démocratie.
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Écrit par
- Sandra LAUGIER : professeur des Universités, université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
Classification
Média
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