CARRIÈRE, sociologie
Le terme de carrière, issu du sens commun pour désigner les étapes de la vie professionnelle, est par ailleurs envisagé, dans sa construction savante, comme un outil de recherche. Objet d’appropriations méthodologiques différenciées au sein du champ scientifique, la notion constitue dès lors un enjeu de luttes pour sa définition légitime. C’est pourquoi rendre compte du travail d’objectivation d’une catégorie d’entendement du monde social revient à restituer l’hétérogénéité de ses usages théoriques.
Carrière « morale »
Le sociologue américain Erving Goffman (1922-1982) défait le sens initial de « carrière », attaché selon lui à décrire les modalités de réussite ou d’échec relatifs à « l’entreprise de celui qui entend profiter des possibilités de promotion qu’offre toute profession respectable ». Détournée, la notion de carrière permet d’identifier « les cycles des modifications » qui structurent les représentations que l’individu se fait de lui-même selon les perceptions et les jugements le concernant et qu’il pense émaner des acteurs avec lesquels il entre en interaction. Ainsi les images instituées de soi et des autres sont-elles dépendantes des relations sociales au sein desquelles se joue et se rejoue continûment la définition de « l’identité » et du « destin social » de l’individu. Dans la lignée des travaux accordant une place conséquente aux interactions en fonction desquelles les rapports au monde social sont déterminés et néanmoins interchangeables, l’ouvrage d’Erving Goffman sur la condition sociale des malades mentaux, Asiles (1961), décompose la carrière du malade mental en deux étapes : « la phase pré-hospitalière » et « la phase hospitalière ». Le premier temps revient sur « les contingences de la carrière », c’est-à-dire la pluralité des mécanismes qui conduisent à l’internement et en particulier le rôle décisif tenu par « le proche-parent ». Le second temps est étendu au processus d’hospitalisation ou de socialisation de l’individu à l’institution et ses acteurs. Il a pour effets principaux la hiérarchisation des règles et des pratiques qui l’organisent et la remise en cause des schèmes de perceptions antérieurs. Partant, l’analyse de la carrière « morale » du malade mental réside dans la mise au jour du va-et-vient entre les représentations individuelles et collectives, entre l’acteur et le système qui l’entoure.
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Écrit par
- Mathilde SEMPÉ : doctorante en science politique
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