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CARTES À JOUER

La « Chronique de Viterbe »

De l'Arménie à l'Italie

Dans la note de Niccola della Tuccia, en 1379, l'historien G. Van Rijnberk a déjà relevé une curieuse coïncidence : celle du nom du « Sarrazin » qui aurait apporté le jeu des naibi à Viterbe, un certain Hayl, avec Haik ou Hayk, nom qui désigne un Arménien. Mais c'est là bien plus qu'un indice superficiel, si l'on observe que l'histoire de l'Arménie, à la fin du xive siècle, traverse une période décisive et qu'elle a commencé précisément par la légende de Haïk le Patriarche, le père de la race arménienne et, selon Moïse de Khorène, le premier des révoltés contre Babylone.

Au xive siècle, la famille royale des Roupéniens, n'ayant plus de lignée mâle, avait invité les princes de la famille française des Lusignan à leur succéder. Les Lusignan ayant refusé, le petit royaume arménien, abandonné par l'Europe chrétienne, s'écroulait sous les assauts réitérés des Mamelouks, auxquels il avait résisté pendant deux cents ans de combats héroïques. Aussi, à la fin du siècle, la noblesse arménienne préféra-t-elle émigrer. Ces militaires remarquables s'engagèrent, par exemple, aux côtés des Polonais et, avec Ladislas Jagellon, contribuèrent à la victoire de Grunwald. D'autres Arméniens, notamment des commerçants, s'établirent en Italie, par exemple à Venise où, depuis 1253, le comte Marco Ziani avait fondé une Maison de l'Arménie. Certains d'entre eux et, principalement, des banquiers, collaborèrent avec les Lombards auxquels ils apportèrent leur expérience immémoriale des trafics avec le Proche-Orient, l'Inde et la Chine. Rien ne s'oppose à l'établissement à Viterbe, vers 1379, d'une famille arménienne qui, faute d'être connue sous son vrai nom, fut désignée par sa nationalité. Ce sont vraisemblablement des enfants arméniens qui, les premiers, apprirent aux enfants italiens à jouer aux naibi. Il se peut aussi que ces étranges images orientales aient éveillé la curiosité des adultes et qu'elles aient été vendues, de ville en ville, par des colporteurs arméniens.

Un combat simulé

Le jeu primitif devait être fort simple et analogue à la « bataille » qui est encore le divertissement préféré des enfants, ou bien aux « patiences » qui consistent à classer les cartes mêlées dans un certain ordre. On peut observer, avec Duchesne, que, dans les anciennes cartes, huit soldats, numérotés de deux à neuf, avaient à leur tête un roi, une reine, un écuyer et un « varlet » ; une enseigne servait à reconnaître chacune des quatre compagnies. Les soldats sont devenus des points, l'écuyer a disparu, l'as a remplacé l'enseigne. C'est pourquoi, en raison de son ancienne préséance, l'as, dans la plupart des jeux, est encore considéré comme la carte la plus forte. Les naibi étaient en quelque sorte des soldats en images, dont les somptueux uniformes orientaux devaient fasciner les enfants et, autant qu'eux, les mercenaires, les lansquenets et autres soudards d'une époque qui, précisément, fut aussi celle des Grandes Compagnies, lesquelles, après leurs échecs en Allemagne, refluèrent en Italie et en Espagne, entre 1360 et 1370. À l'appui de cette hypothèse d'une origine arménienne des naibi, on ajoutera que la mythologie arménienne populaire associe toujours les vieux dieux guerriers à leurs parèdres, si bien que les rois et les reines, auxquels s'ajoutent les héros et les amants, forment un panthéon de seize personnages principaux. D'autre part, la division quadripartite de la société arménienne médiévale est l'une des caractéristiques les plus curieuses du dernier vestige de la dynastie roupénienne : la ville de Zeïtoun qui, encore au xixe siècle, était gouvernée par quatre princes, régnant[...]

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Écrit par

  • : historien des sciences et des techniques, ingénieur conseil

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