Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

CARTÉSIANISME

La « révolution » cartésienne et ses suites

La première vague du cartésianisme est assurément celle que forment des disciples fortement impressionnés par la puissance de cette méthode nouvelle comme par la netteté des distinctions conceptuelles entre les choses de nature corporelle et celles de nature intellectuelle. Mais cette reconnaissance ne signifie pas une adhésion sans réserve, attitude qui serait contraire à l'esprit de la philosophie cartésienne. Ainsi Pascal (1623-1662), le premier des penseurs cartésiens, celui qui prendra la plus exacte et la plus profonde mesure de la révolution philosophique engendrée par la distinction ontologique radicale entre l'esprit et tout ce qui lui appartient, et le corps et toutes ses propriétés, ne se fera pas faute de critiquer la physique spéculative et dogmatique de Descartes, le jugeant « inutile et incertain » lorsqu'il prétend déduire d'un petit nombre de principes la nature de tous les phénomènes du monde visible. Il en va de même pour Nicolas Malebranche (1638-1715) que la lecture du Traité de l'homme (1633) a converti au cartésianisme dont il se montre fidèle disciple tant qu'il est question de méthode et de science (physique, médecine), mais auquel il refuse obstinément d'accorder que nous possédons une idée claire et distincte de notre âme, que les vérités éternelles pourraient être librement créées par Dieu, ou que l'esprit a en lui des idées innées. Pour ces penseurs, pourtant bien plus proches de la philosophie de Descartes que ne le seront Spinoza ou Leibniz, le cartésianisme n'est pas un acte de foi, mais un ensemble de questions ou de problèmes à discuter, à prolonger, à reformuler ou à réfuter.

Le seul des philosophes de cette stature à avoir véritablement et sans répit défendu la philosophie cartésienne contre ceux qui, à ses yeux, en déformaient l'esprit est Antoine Arnauld (1612-1694), auteur, avec Pierre Nicole (1625-1695), de La Logique ou l'Art de penser (1662), sorte de manifeste méthodologique cartésien. L'incessante polémique qu'il entretint avec Malebranche sur la question de la nature des idées, de l'âme, de la causalité divine fait de lui, en cette seconde moitié du xviie siècle où l'œuvre de Descartes est divulguée mais aussi discutée et critiquée, le seul penseur de grande envergure dont on peut dire de façon certaine qu'il est philosophiquement cartésien. Ceux que l'on nomme « les petits cartésiens » : G. de Cordemoy, L. de la Forge, R. Desgabets, C. Clerselier (éditeur et traducteur de Descartes), N. Poisson, J. Rohault, entre autres, se sont intéressés à tel ou tel aspect de la philosophie de Descartes (le langage, la théorie des animaux-machines – objet d'infinies controverses –, la méthode, la physique), mais n'en ont pas, comme Arnauld, dégagé les fondements, séparant du même coup la vérité intemporelle du cartésianisme de ce qui, en lui, relève de la simple histoire des idées ou des sciences.

On pourrait appeler deuxième vague du cartésianisme celle qui s'est formée après le reflux du cartésianisme historique, au moment où des philosophes possédant leur propre horizon de pensée découvrent ou redécouvrent le caractère originaire et fondateur pour toute connaissance de l'esprit et de l'homme du cogito cartésien. Alors que Locke, Condillac et bien d'autres philosophes issus du courant empiriste et sensualiste avaient cherché à réfuter les principales thèses de la métaphysique cartésienne (l'évidence du cogito, la dualité ontologique, le caractère intellectuel de l'idée, etc.), un philosophe français lié aux idéologues et lecteur attentif des écrits médicaux de son époque, Maine de Biran (1766-1824), reconnaît dans le cogito cartésien la formulation abstraite de ce qu'il considère comme le fait[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Autres références

  • ÂME

    • Écrit par et
    • 6 020 mots
    ...l'interprétation de sa philosophie appelle nuances et prudence – à une forme animant l'esprit et le corps. Cependant, où se situerait exactement ce et ? En tout cas, Descartes, lui, sépare nettement les deux, l'union âme-corps posant problème. C'est précisément cette union que s'efforceront, sinon d'éclaircir...
  • AUGUSTINISME

    • Écrit par et
    • 5 572 mots
    ...Descartes, que ce dernier ait connu tels textes augustiniens qu'il aurait assimilés entièrement, mais parce qu'aux yeux des contemporains la rencontre du cartésianisme et de l'augustinisme parut merveilleuse. Malgré les différences fondamentales entre les deux philosophies, on commença par situer la doctrine...
  • CLERSELIER CLAUDE (1614-1684)

    • Écrit par
    • 531 mots

    Le nom de Clerselier, qui fut avocat au parlement de Paris, reste indissolublement lié à celui de Descartes. Adrien Baillet, dans sa Vie de M. Descartes (1691), dit de lui que « la passion qu'il avoit conçue pour la philosophie et les écrits de M. Descartes se communiqua tellement à sa personne...

  • CONNAISSANCE

    • Écrit par , et
    • 9 106 mots
    • 1 média
    ...selon lequel s'est déterminé l'être de l'étant dans la métaphysique moderne, c'est-à-dire dans la forme qu'a prise la métaphysique dans la philosophie de Descartes et qui a déterminé son développement dans toute la période post-cartésienne. La métaphysique cartésienne est une métaphysique de la subjectivité...
  • Afficher les 32 références