CARTOGRAPHIE
Cartographie et art
Parce qu’elle est composée d’images et de signes, la carte jouit d’une popularité croissante dans l’art contemporain depuis les années 1960. La fin du xxe siècle marque ainsi l’apparition d’une génération d’artistes s’emparant de la cartographie comme outil premier de représentation, avec ses possibilités et ses contraintes. Des événements comme l’exposition Mapping organisées par Robert Storr en 1994 au MoMA de New York marquent la reconnaissance académique de cette pratique.
Chez les situationistes (Guy Debord, Gilles Ivain, Patrick Straram), la carte issue de la psychogéographie facilite le détournement, la dérive, suggère des parcours inédits, se préoccupe des états d’âme. Ce groupe développe à la fin des années 1950 le principe du collage cartographique permettant l’errance dans l’imaginaire, le façonnage d’un monde inconnu voire utopique. La carte collage des situationnistes ne reproduit pas la réalité physique d’une ville mais constitue une dérive imaginaire. En s’intéressant à la pratique du parcours, certains artistes du Land Art mettent également à contribution la carte, notamment dans le transfert de données entre galeries et territoire : recours à la carte pour la mise en œuvre de parcours, jeux de pistes, schémas cartographiques. Le travail de Robert Smithson, par exemple, illustre bien l’importance du recours aux cartes (Imaginary Maps, World Ocean Map…).
L’utilisation de la cartographie peut en outre participer d’un mouvement de résistance au pouvoir, comme par exemple dans les travaux d’Hasan Elahi (The Orwell Project) ou de Jill Magid qui exploitent les potentialités subversives des outils de marquage et de suivi dans un art performatif permettant la manipulation du territoire, un moyen d’appréhender et de se réapproprier l’espace immédiat et d’y prendre place. Enfin, d’autres courants s’attachent à déconstruire les codes graphiques établis et le système cartographique conventionnel. Il s’agit alors d’une démarche de rupture, une modalité critique dans le régime de la représentation. Dans son travail du Monde rangé et des Villes rangées, Armelle Caron extrait un à un les contours élémentaires (pays, îlots), transformant ainsi le territoire en des formes géométriques classables et interchangeables. Le rapport à la carte est ici un rapport au dessin. Mais en déconstruisant le territoire pour en faire une série de formes, l’artiste évoque bien l’écriture spatiale des sociétés à la surface de la Terre, la « géo-graphie » stricto sensu. Les manipulations et créations cartographiques en art constituent autant de relativisations du savoir. La réalité transposée par l’image cartographique n’est qu’une vision possible du territoire. L’art contemporain propose, en quelque sorte, une alternative en termes de production de savoir géographique. D’un outil supposé neutre émerge un questionnement sur le rapport entre société et territoire, homme et environnement, support signifiant et réalité physique.
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Écrit par
- Guy BONNEROT : ancien chef du service cartographie des Classiques Hachette
- Estelle DUCOM : maître de conférences en géographie, aménagement de l'espace et urbanisme à l'université de Paris-IV-Sorbonne, agrégée de géographie
- Fernand JOLY : professeur honoraire, université Paris-VII
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