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CARTOMANCIE

Les tarots

En 1781, Antoine Court de Gébelin, pasteur protestant et franc-maçon installé à Paris, y fait paraître le huitième volume de son Monde primitif, sorte d'encyclopédie assez fantaisiste de l'humanité avant l'humanité. L'ouvrage de Court de Gébelin serait resté bien oublié s'il n'avait contenu un chapitre qui exposait pour la première fois un essai sur les origines du tarot. Frappé par les allégories un peu étranges de ce jeu venu d'Italie et pratiqué en France depuis le xvie siècle, le « savant antiquaire » n'hésite pas à y voir des hiéroglyphes égyptiens formant un « Livre de Thot ». L'interprétation proposée mêle les thèmes divinatoires et symboliques, évoque la kabbale et les « bohémiens » (tsiganes), offrant ainsi, en dépit de ses impasses historiques que l'égyptologie à naître allait démentir, les bases d'une réflexion encore aujourd'hui très fertile.

Le message fit des adeptes, au premier rang desquels Etteilla. Celui-ci vit tout de suite les accointances avec l'art de lire dans les cartes qu'il pratiquait depuis quelques années et le parti valorisant qu'il pouvait tirer du tarot. De 1783 à 1786 parurent pas moins de dix livres où Etteilla exprimait son interprétation très personnelle du tarot, juxtaposant aux intuitions de Court de Gébelin une vision originale qu'il devait traduire ensuite sous la forme d'un tarot « rectifié », gravé en 1788 et toujours édité (Grand Tarot égyptien d'Etteilla). Le tarot divinatoire était né.

Son symbolisme plus complexe, la puissance de ses allégories à la fois médiévales et humanistes allaient faire du tarot un support de la pensée ésotérique. Quelque peu évincé par la cartomancie avec cartes spéciales au début du xixe siècle, le tarot reçut en 1856 une impulsion nouvelle avec le mouvement occultiste régénéré par Éliphas Lévi, Paul Christian, Jean-Alexandre Vaillant et quelques autres. Désormais « enrichi » de kabbale, d'astrologie et de multiples autres théories quant à ses origines, sa signification et sa « philosophie », le tarot allait former une branche particulière de la tradition occultiste occidentale.

Auteur, comme Éliphas Lévi, d'une Histoire de la magie de pure fiction, Paul Christian (de son vrai nom Jean-Baptiste Pitois, 1811-1877) a joué un rôle décisif dans le développement de la cartomancie, publiant sous les divers masques dont il s'est affublé (Frédéric de La Grange, Hortensius Flamel, Lussidès, P. Christian...) plusieurs ouvrages peu scrupuleux qui ont contribué à répandre l'idée d'une origine antique du tarot divinatoire. C'est notamment à lui que l'on doit l'emploi du terme « arcanes » à propos des cartes du tarot.

Réédité tout au long du xixe siècle dans diverses versions plus ou moins fidèles (dont le délicieux Jeu de la Princesse Tarot en 1864), le tarot d'Etteilla n'eut pas de vrai concurrent avant 1889. C'est à Oswald Wirth (1860-1943) que revient le mérite d'avoir conçu et dessiné cette année-là les 22 Arcanes du Tarot kabbalistique qui furent réédités en 1927. Mais il faut attendre 1909 pour voir naître deux tarots complets de 78 cartes, celui que dessina Jean-Gabriel Goulinat pour accompagner le livre de Papus, Le Tarot divinatoire, et le jeu inspiré par Arthur E. Waite et illustré par Pamela Colman Smith que publia à Londres l'éditeur Rider. Réédité à de multiples reprises, souvent imité, ce dernier a fini par entrer à son tour dans le répertoire, aujourd'hui international, des classiques de l'ésotérisme.

Mais, en revenant au tarot de Marseille, Oswald Wirth avait lancé un mouvement de retour aux sources que le fabricant français B.-P. Grimaud, riche d'un catalogue de cartomancie inégalé, allait favoriser en publiant, en 1930, un « Ancien Tarot[...]

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Écrit par

  • : licencié ès lettres, ingénieur du Conservatoire national des arts et métiers, historien du jeu

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Média

La Tireuse de cartes, Lucas de Leyde - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

La Tireuse de cartes, Lucas de Leyde

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