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CARTOMANCIE

La cartomancie avec cartes spéciales

Etteilla avait tout prévu. À côté du Livre de Thot, la « cartonomancie française » se devait d'être traduite en images directement signifiantes. Un cartier audacieux apporta son concours pour graver et vendre un Petit Etteilla dès 1791. Ici, les 33 cartes, sans renier les figures traditionnelles, leur ajoutent des légendes explicatives, qui se lisent dans un sens ou dans l'autre. Le jeu eut du succès car il survécut lui aussi à son créateur et se trouve encore aujourd'hui dans le catalogue d'un fabricant.

Parallèlement, la tradition sentimentale représentée par le comte de P. produisait des images libres de références au jeu de cartes. Divers thèmes s'y expriment : jalousie, chicane, trahison, billet doux, abondance, sans oublier quelques figures de la mythologie classique, telles l'Hymen, Junon, Jupiter, Thémis ou Bellone, et les inévitables vertus – Prudence, Espérance, Charité, etc. D'une lecture facile, ces images charmantes et colorées, en nombre variable (de 36 à 42), accompagnées de l'indispensable petit livret explicatif, ont fini par rencontrer les allégories du tarot d'Etteilla créant ainsi un foisonnement de jeux divinatoires hybrides, connus sous le nom de Nouvel Etteilla, Oracle des Dames, Petit Nécromancien, qui connurent une vogue certaine dans les premières décennies du xixe siècle.

Il est vrai que la cartomancie, désormais bien installée en dépit de l'hostilité de la police, a enfin acquis droit de cité. C'est surtout, à Paris, la figure très médiatisée de Mademoiselle Le Normand (1772-1843) qui, depuis son officine de la rue de Tournon où elle reçoit hommes politiques et femmes du monde, donne à la cartomancie ses lettres de noblesse. Marie-Anne Le Normand prononce des oracles en utilisant divers procédés dont les cartes à jouer ordinaires. Paris devient ainsi, sous l'Empire, la capitale de la voyance. Après l'Empire, Mademoiselle Le Normand publie plusieurs livres où elle s'autocélèbre et qui lui ont assuré, avec son fastueux enterrement, la célébrité mondiale. Deux ans après sa mort paraissait un Grand jeu de société et pratiques secrètes de Mademoiselle Lenormand entièrement apocryphe mais promis au succès.

Les jeux divinatoires se multiplient au xixe siècle. Après La Sibylle des Salons (1827), due au talent inattendu dans ce domaine du caricaturiste Grandville, on voit paraître au fil du siècle un Jeu de la Main, un Livre du Destin, etc. Il n'est pas jusqu'aux pays voisins qui n'empruntent les thèmes et les noms venus de Paris. Ainsi naît en Allemagne, sur la base d'un jeu de société à 36 cartes édité originellement à Nuremberg vers 1800, un Petit Lenormand aux symboles simples qui aura beaucoup de succès, comme l'attestent encore aujourd'hui ses multiples rééditions.

Peu de cartomanciens émergent ensuite parmi les très nombreux professionnels qui exercent à Paris et ailleurs. Seul Edmond (Edmond Billaudot, 1829-1881) paraît avoir eu une réelle réputation dont deux jeux conservent encore le souvenir : l'Oracle Belline et le Grand Tarot Belline (qui portent le nom d'un successeur du xxe siècle), ainsi que quelques livres aujourd'hui oubliés. Quelque peu discréditée par des prédictions aussi tonitruantes que malheureuses et par l'accoutrement pittoresque de certains de ses praticiens, la cartomancie a dû attendre les années 1980 pour voir renaître une pratique qui se place désormais sous les auspices de la parapsychologie.

— Thierry DEPAULIS

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Écrit par

  • : licencié ès lettres, ingénieur du Conservatoire national des arts et métiers, historien du jeu

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La Tireuse de cartes, Lucas de Leyde - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

La Tireuse de cartes, Lucas de Leyde

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