CASINOS
Les maisons de jeux de hasard : réprimer ou réglementer ?
Faut-il interdire tous les jeux d'argent et, avec eux, les établissements qui en font commerce ? Les réglementer, ou les autoriser librement ? Il n'y a pas d'État, en réalité, où le commerce des jeux d'argent soit totalement libre. Mais entre les deux positions de principe – interdire ou réglementer – les gouvernements n'ont cessé de balancer.
Fait peu connu, c'est l'Inde antique qui offre le plus ancien exemple d'une pratique réglementée des jeux de hasard. Si l'on se fie à Kauṭilya, ministre du roi Candragupta (fin du ive siècle av. J.-C.) et auteur présumé du traité de gouvernement Arthaśhāstra, la passion des dés dans l'Inde ancienne était telle qu'il y avait sous les Maurya un surintendant du Jeu chargé de surveiller les lieux affectés à cette activité – les sabhā, véritables casinos avant l'heure –, de fournir (avec commission) des dés réguliers et honnêtes et de prélever 5 p. 100 sur le montant des enjeux. Ce système avait encore cours sous les Gupta au ive siècle apr. J.-C.
Pour autant, force est de constater qu'aucune des autres grandes civilisations antiques, pas même Rome ou la Chine des Han, n'a toléré les jeux d'argent. La réprobation du hasard en Occident est le fruit des lois romaines (Code justinien) et des réticences de l'Église. Cette dernière prend progressivement conscience du danger des jeux de dés, mais se trouve impuissante à les empêcher. Face à la montée des pratiques aléatoires, les souverains et autres autorités des divers pays européens réagissent en ordre dispersé. À un « front du refus », incarné par le royaume de France où Saint Louis interdit expressément, en décembre 1254, les écoles de dés (scholas deciorum, c'est-à-dire « assemblées de [joueurs] de dés ») puis prohibe, cette fois en français, la « forge des dez » (fabrication), en 1256, s'opposent d'autres pratiques, plus flexibles.
En Castille, le roi Alphonse X, après avoir sévi en 1268, proclame en 1276 l'Ordenamiento de las tafurerías (« ordonnancement des maisons de jeux »), qui réglemente dans les moindres détails la pratique des jeux de dés dans les tavernes. Mais le cas le plus net reste celui des communes italiennes aux xiiie et xive siècles où les jeux de hasard, devenus l'apanage des bandes de « ribauds » – mercenaires désœuvrés, guidés par un « roi » et de plus en plus organisés – passent sous le contrôle des autorités communales. Ainsi, à Sienne, est constitué dès 1296 un monopole des jeux, d'abord confié aux ribaldi ou barattiere, puis mis en gestion directe. À leur tour, Lucques en 1323 et Pise peu après restreignent la liberté de jouer en place publique pour la réserver à une maison spécialisée, la baratteria. Dans des formes voisines ou moins formelles, la plupart des communes italiennes – Vicence, Bologne, Ferrare, Vérone, entre autres – suivent l'exemple de Sienne.
Dans les pays d'Empire, on connaît l'existence, aux xive et xve siècles, de maisons de jeux de hasard publiques (Spielhäuser) à Francfort, Mayence et Strasbourg. Mais c'est surtout dans les Pays-Bas bourguignons, et particulièrement en Flandre, que se multiplient à partir de la seconde moitié du xive siècle les brelans et les « escoles de dés ». Il s'agit ici de véritables offices féodaux que les comtes de Flandre puis les ducs de Bourgogne accordent par concession à quelques proches pour les remercier à peu de frais.
Cette institutionnalisation des jeux de hasard ne faisait toutefois pas l'unanimité. À la répression constante, quoique fort théorique, affichée par le royaume de France, mais aussi par celui d'Angleterre, où Richard II interdit les jeux de dés en 1388-1389, s'ajoutent les premiers soubresauts des [...]
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Écrit par
- Thierry DEPAULIS : licencié ès lettres, ingénieur du Conservatoire national des arts et métiers, historien du jeu
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Médias
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