Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

FRIEDRICH CASPAR DAVID (1774-1840)

Moine au bord de la mer, C. D. Friedrich - crédits : J. P. Anders, Bildarchiv Preussischer Kulturbesitz, Berlin

Moine au bord de la mer, C. D. Friedrich

Selon le sculpteur David d'Angers, le peintre allemand Caspar David Friedrich (1774-1840) aurait inventé la « tragédie du paysage ». Cette formule peut en effet s'appliquer à l'une des œuvres majeures de l'artiste : Le Moine au bord de la mer (1808-1810, Nationalgalerie, Berlin) qui représente une figure solitaire minuscule méditant devant un paysage désertique réduit à trois bandes de couleurs. Achetée par le jeune prince et futur roi de Prusse lors de son exposition en 1810, la toile consacre Friedrich comme l'un des plus remarquables peintres allemands du paysage, avant qu'il ne soit progressivement abandonné par ses défenseurs dans les années 1820. Malgré sa nomination comme professeur à l'Académie de Dresde en 1824, l'avènement des jeunes peintres de Düsseldorf (Andreas et Oswald Achenbach, Johann Wilhelm Schirmer) rend par comparaison son symbolisme dépassé. Tombée dans l'oubli à sa mort, son œuvre ne sera redécouverte qu'au début du xxe siècle lors de la Jahrhundert-Ausstellung (Exposition du siècle) organisée en 1906 à Berlin. La radicalité de ses compositions à la géométrie affirmée résonne alors avec les débuts de l'abstraction picturale, dont elle est perçue comme l'une des préfigurations historiques.

Un paysage religieux

Originaire de Greifswald en Poméranie puis élève de l'Académie royale de peinture de Copenhague de 1794 à 1798, Caspar David Friedrich n'expose sa première toile, Le Retable de Tetschen (Croix dans la montagne) [1807-1808, Gemäldegalerie Staatliche Kunstsammlungen, Dresde] qu'à l'hiver 1808-1809 à Dresde où il s'installe jusqu'à sa mort. L'œuvre déclenche immédiatement la polémique. Elle porte sur le choix d'un paysage comme tableau d'autel, à une époque où la hiérarchie classique des genres situe la peinture d'histoire religieuse ou profane (pensée comme douée d'« âme ») au-dessus des représentations naturelles (pensées comme « inanimées »). L'ambiguïté de l'œuvre repose sur la représentation d'une minuscule crucifixion, simple calvaire en métal tel qu'on en trouve au bord des chemins dans la campagne allemande, au sommet d'un piton rocheux couvert de sapins. Ce dernier occupe avec le soleil couchant la majeure partie de l'image. Un cadre doré sculpté présente des symboles chrétiens. Le chambellan F. W. Basilius von Ramdohr s'insurge, dans une violente critique du Journal pour le monde élégant, contre cette tentative de « glisser [la peinture de paysage] dans les églises » et de la faire « grimper sur les autels ».

Après cette œuvre « manifeste » de la peinture romantique de paysage, Friedrich continue de disséminer des motifs chrétiens dans ses tableaux (croix, ruines d'architectures gothiques, moines, processions religieuses) suggérant que la nature est le lieu d'un contact avec le divin, selon une conception protestante qui interdit de le représenter directement. Éduqué dans la tradition piétiste et proche des théologiens Ludwig Gotthard Kosegarten et Friedrich Schleiermacher, l'artiste aurait affirmé à propos d'une toile représentant des Cygnes dans les roseaux [vers 1819-1820, disparue] : « Le divin est partout, jusque dans le grain de sable ». Ce postulat a conduit à une lecture allégorique de ses toiles. Au xxe siècle, Helmut Börsch-Supan s'est ainsi livré à un décryptage systématique associant chaque motif à une signification métaphysique : le rocher à la foi, l'ancre à l'espoir, la lune au Christ, le chemin au cours de la vie... Si elle signale les glissements entre religion et paysage, cette interprétation semble toutefois simplificatrice au regard de la polysémie des toiles, dont la signification reste indécise. L'artiste le souligne dans ses Réflexions sur une collection[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : maître de conférences en histoire de l'art contemporain, université de Paris-I

Classification

Médias

Moine au bord de la mer, C. D. Friedrich - crédits : J. P. Anders, Bildarchiv Preussischer Kulturbesitz, Berlin

Moine au bord de la mer, C. D. Friedrich

Le Watzmann, C.D. Friedrich - crédits : DeAgostini/ Getty Images

Le Watzmann, C.D. Friedrich

La Fenêtre de l'atelier, C. D. Friedrich - crédits : Österreichische Galerie Belvedere, Vienne

La Fenêtre de l'atelier, C. D. Friedrich

Autres références

  • CASPAR DAVID FRIEDRICH ET LE PAYSAGE - (repères chronologiques)

    • Écrit par
    • 846 mots

    1797 Élève à l'Académie de Copenhague, Friedrich exécute ses premières œuvres importantes, une série d'aquarelles représentant des vues de parcs de la ville ou de ses environs, qui dénote son goût précoce pour la peinture de paysage et pour l'émotion procurée par la nature, même...

  • MATIN SUR LE RIESENGEBIRGE (C. D. Friedrich)

    • Écrit par
    • 271 mots
    • 1 média

    À l'exception de quelques portraits, et de quelques tableaux où les figures prennent le pas sur leur environnement, Caspar David Friedrich (1774-1840), contrairement à son contemporain Philipp Otto Runge, n'a exécuté que des paysages. Il les charge toutefois d'une signification nouvelle pour...

  • L'ÂGE D'OR DU ROMANTISME ALLEMAND (exposition)

    • Écrit par
    • 1 063 mots

    Le musée de la Vie romantique (Paris) a consacré du 4 mars au 15 juin 2008 une exposition à L'Âge d'or du romantisme allemand, aquarelles et dessins à l'époque de Goethe. Dans sa Préface au catalogue, Pierre Rosenberg avoue préférer le sous-titre : Aquarelles et dessin à l'époque...

  • ROMANTISME

    • Écrit par et
    • 22 170 mots
    • 24 médias
    ...l'Allemagne, à l'Angleterre, pays où la théorie académique était bien moins solidement établie. En Allemagne, la personnalité la plus marquante est celle de Caspar David Friedrich (1774-1840) qui, dès les premières années du xixe siècle, a donné au romantisme une forme picturale entièrement originale....