CASSIODORE (485 env.-env. 580)
Le dessein encyclopédique des « Institutions » et les arts libéraux
Faute de pouvoir donner des maîtres à ses moines, Cassiodore entendait leur fournir des livres. Pendant une très longue période, la bibliothèque allait se substituer à l'université. Encore fallait-il choisir et utiliser les volumes ainsi rassemblés, être prévenu de leur contenu, être initié à leurs méthodes et à leur langage. Cassiodore écrivit donc les Institutiones. C'est, en quelque sorte, un « guide de l'étudiant en Écriture sainte ». Il est vrai que l'étude de la Bible avait pour les contemporains de Cassiodore un caractère encyclopédique que nous n'entrevoyons plus. Le livre sacré était censé contenir éminemment tout ce que la philosophie et la culture profane offraient d'acceptable et d'utile. On comprend alors la diversité des domaines abordés dans les deux livres des Institutiones. Le premier est consacré directement à l'exégèse de la Bible et aux grands auteurs qui y donnent accès. Il s'agit évidemment des Pères de l'Église, grecs et surtout latins.
Mais la bibliothèque idéale de l'exégète biblique, dont Cassiodore dresse le catalogue, ne pouvait se limiter aux Livres saints et aux commentaires des Pères : les uns et les autres mettent en œuvre la grammaire, se servent des procédés de la rhétorique, usent des armes de la dialectique ; on ne saurait même toujours les comprendre si on ignore l'arithmétique, la musique, la géométrie, l'astronomie. Un second livre des Institutiones était donc nécessaire pour orienter le moine dans l'étude de ces sept arts libéraux de la tradition antique, qui font figure désormais de disciplines auxiliaires de la science biblique.
Au-delà des frères de Vivarium, auxquels elles étaient directement destinées, ces Institutiones connaîtront un immense et durable succès. Elles répandront l'idée d'une culture chrétienne formée sur un modèle inspiré d'Augustin, et elles transmettront le schéma du trivium et du quadrivium, base de toute l'organisation scolaire au Moyen Âge.
Cassiodore mit son sens pratique au service de ce programme. À sa demande, un certain Épiphane traduisit du grec des extraits des historiens ecclésiastiques : Sozomène, Socrate et Théodoret. Cassiodore en composa une espèce de centon qui nous est parvenu sous le nom d'Historia tripartita. Non seulement il fit appel à des traducteurs, mais il forma une équipe de copistes, dont l'œuvre survécut en partie. Après la disparition du monastère, qui suivit de peu la mort de son fondateur, la bibliothèque de Vivarium semble avoir été transférée à Rome, au Latran. Des copies s'en répandirent au loin, qui furent à leur tour transcrites. Le plus célèbre des manuscrits dérivant au moins en partie d'un des volumes de la bibliothèque cassiodorienne est le codex Amiatinus, copié en Northumbria au début du viiie siècle. C'est notre plus ancien témoin de la Vulgate.
Le fondateur de Vivarium se consacra inlassablement à la formation intellectuelle et spirituelle de ses moines. Il avait quatre-vingt-douze ans lorsqu'il écrivit pour eux un traité De orthographia. Mais on retiendra surtout ses commentaires de l'Écriture. Si ses Complexiones in epistolas et acta apostolorum ont été ignorées des médiévaux, il n'en va pas de même de ses Complexiones in psalmos, dont l'influence a été considérable. Ce commentaire, où plusieurs versets sont toujours expliqués à la fois – d'où le nom de Complexiones –, s'inspire surtout des Enarrationes in psalmos d'Augustin. On y retrouve les intentions encyclopédiques proclamées dans les Institutiones. Cela a bien été saisi par les copistes qui se sont attachés à signaler, en marge du commentaire de Cassiodore, ce qui intéressait chacun des arts libéraux. On observe que, par[...]
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Écrit par
- Hervé SAVON : docteur ès lettres, professeur à l'Université libre de Bruxelles
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