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CASTES

Les « espèces » (jāti)

Multiplicité des jāti

La multiplicité de fait des jāti, qui sont les groupes élémentaires individualisés que nous appelons « castes », coexistant avec la répartition générale idéale de toute l'humanité en quatre classes, a obligé les théoriciens indiens du Dharma (« Disposition naturelle des choses ») à construire une hypothèse sociologique pour relier ces jāti aux classes. Cette hypothèse, classique dans les Dharmaśāstra (notamment Manu, X), est celle du « mélange des classes » (varṇasaṅkara). Partant du postulat de l'existence primitive des quatre classes issues du corps de l'Homme cosmique primordial, on a expliqué l'existence des groupes nombreux par les mariages entre hommes et femmes de classes différentes, puis par les intermariages de leurs descendants. Par exemple : de l'union d'un brahmane avec une femme vaiśya naîtra un ambaṣṭha ; de celle d'un vaiśya avec une femme brāhmanī, un vaideha ; de celle d'un vaideha et d'une ambasṭḥī, un veṇa.

Aux jāti ainsi définies sont attribuées des professions particulières, comme celles des soins médicaux et chirurgicaux aux ambaṣṭha et le service des femmes aux vaideha. Mais elles ne désignent pas seulement des groupes professionnels. Un bon nombre s'applique à des peuples entiers de diverses régions de l'Inde ou de l'étranger, ces derniers étant des mleccha, qui parlent des langues « barbares ».

Indéfiniment répétée dans les textes, surtout soucieux d'affirmer la suprématie des brahmanes, cette hypothèse étiologique ne s'y trouve pas approfondie, ni confrontée au détail des réalités observables. Elle reste la base théorique d'une doctrine d'explication qui se veut normative et qui, prétendant rendre compte de l'ordre naturel des choses, veut codifier la « bonne pratique » (sadācāra) et fonder les lois à appliquer. Quoique mal fondée sur la réalité, elle a souvent exercé une action concrète, soit qu'elle ait été adoptée spontanément par une partie de l'opinion publique, soit qu'elle ait été imposée à diverses époques, en diverses régions, par l'autorité royale (par exemple par Ballālasena, au Bengale, xiie siècle). Une partie des règles des Dharmaśāstra édictées par les divers varṇa et jāti a même reçu force de loi de l'administration anglaise qui, dès la fin du xviiie siècle, voulant juger d'après la coutume indienne, en a demandé l'exposé aux lettrés, qui ont précisément donné force de coutume aux données des Dharmaśāstra, appliquées ou non dans la réalité.

Un certain nombre de jāti mentionnées dans les Dharmaśāstra, quand elles ne sont pas des peuples, mais réellement des groupes entrant dans la composition de la société, n'existent plus actuellement ; leur existence n'est pas toujours attestée dans les inscriptions ni dans les textes n'appartenant pas aux Dharmaśāstra. Réciproquement, une foule de jāti existent, parfois depuis l'Antiquité, sans être mentionnées dans les Dharmaśāstra. C'est le cas à travers toute l'Inde mais particulièrement dans les pays dravidiens du Sud, surtout au pays tamoul, dont la tradition, attestée par une littérature considérable, est restée autonome, en dépit de l'influence exercée sur elle par la culture sanskrite. La classification des jāti selon les Dharmaśāstra y est bien connue mais non suivie, sauf en ce qui concerne la classe brahmanique (avec parfois des règles de vie et de mariage particulières). Il n'a même guère été tenté de mettre en correspondance les éléments théoriques de cette classification et les groupes réels, sauf par essais vagues de rattachement aux grandes classes, ou lorsque la concordance se trouve évidente. En fait il n'y a, au pays tamoul, comme aussi au Bengale, pratiquement que[...]

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  • : membre de l'Institut, professeur honoraire au Collège de France

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