CATASTROPHES
La perception du risque
La perception du risque s'appuie sur des considérations souvent éloignées des données scientifiques ou statistiques.
Tout d'abord, et à l'exception de quelques événements appartenant à l'histoire (anéantissement de Pompéi en 79, désastre de Lisbonne en 1755, catastrophe minière de Courrières en 1906, etc.), la mémoire des catastrophes passées ne dépasse généralement guère l'expérience cumulée sur deux ou trois générations. Le sempiternel « on n'a jamais vu ça » est souvent sincère de la part de l'individu, observateur ou victime. Mais cette perte de mémoire est devenue inadmissible quand elle est collective ; la prévision commence en effet par une consultation des archives historiques : ce qui s'est déjà passé en un lieu se reproduit généralement si rien n'a été fait pour endiguer les causes, les mêmes causes engendrant les mêmes effets. Les exemples sont nombreux dans lesquels l'histoire ne fait que bégayer. Le mardi 10 février 1970, à Val d'Isère (Savoie), quelque 200 stagiaires prennent leur petit déjeuner dans un chalet de l'Union nationale des centres sportifs de plein air (U.C.P.A.). À 8h10, le chalet est submergé par une avalanche poudreuse : 38 morts et 39 blessés. Après enquête, il s'avérera que, trois fois au moins depuis 1917, des avalanches de même ampleur avaient suivi le même couloir et atteint la même zone où avait été construit le chalet. La crue torrentielle du Grand-Bornand (Haute-Savoie, 23 morts), le 14 juillet 1987, condense tous les ingrédients du climat d'insouciance avant, de surprise pendant, d'émotion après : oubli des événements du passé qui auraient dû renseigner sur les risques du présent ; tentative de dissimulation des données pourtant indispensables à la définition d'une politique du futur ; invocation de la fatalité pour tout absoudre. Comme disait La Rochefoucauld, « on ne devrait s'étonner que de pouvoir encore s'étonner ».
La perception du risque est parfois en contradiction avec le risque lui-même. Ainsi, dans un pays comme la France, les risques domestiques (cf. tableau), semblent assez bien assumés par la population, beaucoup mieux que les risques dits majeurs comme un séisme ou une explosion dans une usine, alors qu'ils sont responsables, en moyenne annuelle, d'un nombre de victimes bien plus élevé. Dans la vie de tous les jours, on accepte plus volontiers un « risque choisi » qu'un « risque imposé ». Ainsi, les utilisateurs de téléphone portable ne se soucient guère des dangers éventuels des ondes électromagnétiques émises par leur propre appareil, alors qu'ils se mobilisent contre l'installation d'une antenne relais dans leur quartier d'habitations.
Le fait que les risques majeurs soient plus perçus que les risques diffus (ou risques éclatés, cf. tableau) réside aussi dans le catastrophisme des premiers (cyclones, accidents nucléaires, naufrages de navires, etc.) – beaucoup de victimes en peu de temps, informations très relayées par les médias –, alors que les seconds, qui peuvent être responsables de plus de victimes, ont un taux d'occurrence plus constant et s'inscrivent dans une durée plus longue.
La perception du risque est aussi faussée par l'ignorance des dangers à long terme de technologies plus ou moins récentes (clonage, nanotechnologies, organismes génétiquement modifiés, etc.), par la peur des épidémies nouvelles ou qui réapparaissent (grippe aviaire), ou par une psychose particulière face à un événement mal compris. Ainsi, l'accident de Seveso en 1976, qui ne fit aucun mort (200 blessés légers), a profondément inquiété les populations : des dizaines d'avortements ont été demandés alors que les fœtus étaient normaux. Ce niveau de peur, qui s'explique en partie par la médiatisation[...]
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Écrit par
- Yves GAUTIER
: docteur en sciences de la Terre, concepteur de la collection
La Science au présent à la demande et sous la direction d'Encyclopædia Universalis, rédacteur en chef de 1997 à 2015
Classification
Médias
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