CATÉGORIES
Imprécise dans ses contours, la pensée catégoriale semble participer de la connaissance et du langage, de la logique, de l'ontologie, de la psychologie. Aussi sera-t-on porté à accentuer l'un de ces versants ou un autre. Chez Aristote, les catégories découpent les summa genera de l'être, en même temps qu'elles expriment les modes de la prédication. Leur fonction est éminemment épistémologique dans la Critique de la raison pure ; et la philosophie analytique du langage les associe surtout aux problèmes de la signification. Par conséquent, l'élucidation de la pensée catégoriale dépend, en partie, de l'usage qu'on en fait et de la portée qu'on lui reconnaît. Mais cette indétermination traduit aussi une surdétermination. Les catégories sont des notions « stratégiques » ; susceptibles d'usages divers, elles circulent entre le syntactique et le sémantique et témoignent d'une pensée constructive.
La difficulté à saisir le statut des catégories s'énonce par quelques questions préjudicielles, qui n'ont jamais trouvé des réponses définitives : comment s'obtiennent les catégories, au nom de quels principes se trouvent-elles à chaque fois colligées, pourquoi choisit-on certaines catégories et non d'autres ? La mise en accusation de la nature « rhapsodique » des tables de catégories (Kant, Prolégomènes..., § 39, à propos d'Aristote) est rituelle. Ensuite, on peut se demander : quel est le champ d'application de la pensée catégoriale et quelles sont les modalités de son intervention ? Jouit-elle d'une autonomie authentique ou ne signifierait-elle pas, plutôt, l'hypostase des catégorisations grammaticales (ou, même, de données sociales, comme Durkheim l'a prétendu) ? Comment, en outre, dissocier catégories et classifications ? Enfin, le domaine catégorial s'épuise-t-il dans les catégories au sens « technique » (quantité, qualité, substance, relation, etc.), ou comporte-t-il aussi certaines oppositions conceptuelles très générales – les themata de Gerald Holton (1973, 1975) –, telles les « grands genres » du Sophiste, ou les paires de la « topique transcendantale » de la Critique de la raison pure (unité/diversité, convenance/disconvenance, intérieur/extérieur, matière/forme, cf. Critique de la raison pure, « Amphibologie »), ou, encore, une opposition comme continu/discret, que R. Thom et G. Holton mettent au premier rang de la pensée ? Remarquons que, dans les Catégories d'Aristote, les oppositions (la contradiction, la contrariété, les relatifs et la privation) sont des post-praedicamenta qui suivent les catégories isolées (praedicamenta), et que la plupart des autres post-praedicamenta (antérieur/postérieur, génération/corruption, accroissement/décroissement) constituent aussi des oppositions.
On déterminera d'abord le statut de la pensée catégoriale, en donnant une place particulière à la relation entre catégories et langage, pour examiner ensuite sa portée cognitive.
Plans de la pensée catégoriale
La pensée grecque fournit des éléments suffisants pour situer la pensée catégoriale dans la connaissance. a) Rien dans la philosophie grecque classique ne saurait être dit correspondre à la distinction entre ontologie matérielle et ontologie formelle. Il est vrai que l'Un, corrélat de l'Être selon Aristote (Métaphysique, 1003 b sqq.), amène à un entendement particulier de l'Être, car, en tant qu'associé à l'Un, l'Être n'est pas appréhendé comme l'opposé du Non-Être, mais, en tant qu'opposé de l'opposé de l'Un, c'est-à-dire du Multiple. Ainsi s'expliquerait l'unité de l'Être – qui est une propriété formelle. Cependant, l'ontologie d'Aristote demeure foncièrement « matérielle ». Au contraire, le [...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Fernando GIL : docteur en philosophie, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
Classification
Autres références
-
CATÉGORIE (sociologie)
- Écrit par Albert OGIEN
- 547 mots
La notion de catégorie désigne un élément de base de l’activité de connaissance que les êtres humains déploient dans la vie ordinaire comme dans le travail scientifique. Dans la tradition philosophique, cette notion nomme, depuis Aristote, une série finie de principes généraux qui permettent...
-
ANALOGIE
- Écrit par Pierre DELATTRE , Encyclopædia Universalis et Alain de LIBERA
- 10 427 mots
...d'une distinction entre univocité, équivocité et paronymie nécessaire à l'interprétation de la portée ontologique et théologique du discours catégoriel. Ainsi, durant cette période, la question centrale n'est pas celle de la pluralité des sens de l'être, mais celle de l'applicabilité des catégories ontologiques... -
ANTHROPOLOGIE COGNITIVE
- Écrit par Arnaud HALLOY
- 5 810 mots
...celui des « prototypes ». Un prototype, pour le dire simplement, peut être défini comme le modèle cognitif du meilleur exemplaire ou représentant de sa catégorie. Ainsi, un moineau serait un meilleur prototype de la catégorie oiseau que, par exemple, un pingouin. La théorie des prototypes a pour effet... -
ANTIQUITÉ - Naissance de la philosophie
- Écrit par Pierre AUBENQUE
- 11 137 mots
- 8 médias
...juste », l'être signifie la qualité ; si je dis : « Socrate est assis », l'être signifie la situation, etc. Ainsi est née la liste aristotélicienne des catégories : essence, quantité, qualité, relation, temps, lieu, avoir, action, passion, situation. Cette distinction des significations multiples... -
ARISTOTE (env. 385-322 av. J.-C.)
- Écrit par Pierre AUBENQUE
- 23 786 mots
- 2 médias
...l'essence, dans le deuxième la qualité, dans le troisième la quantité, dans le quatrième la relation, etc. Ces sens de l'être sont appelés par Aristote catégories (du grec kategoria, qui signifie attribution) : les catégories sont donc les différents modes de signification selon lesquels la copule ... - Afficher les 33 références