CATHERINE II DE RUSSIE (1729-1796)
Le « despote éclairé »
L'amie des philosophes
À la différence de son mari, dont les préférences allemandes et luthériennes avaient précipité la chute, Catherine s'emploie aussitôt à asseoir sa popularité. « Citoyenne de l'Europe », comme elle s'appelait, autant que de Russie, et plus ou moins sincèrement éprise de « Lumières », elle ne tarde pas à se tailler une réputation de libéralisme, vite amplifiée aux quatre coins de l'Europe. À peine sur le trône, elle avait, il est vrai, multiplié les avances à la « philosophie » : non contente d'offrir à d'Alembert, qui se récusera, le préceptorat de son fils Paul, elle rachète plusieurs fois son prix sa bibliothèque à Diderot, offre à Voltaire des subsides dans l'affaire Calas, et s'attelle même à la traduction du Bélisaire de Marmontel. « Tous ceux qui cultivent les lettres [...] se regardent comme vos sujets », lui écrit alors Grimm, publiciste en vogue. Premier hommage qui devait être suivi de beaucoup d'autres.
L'auteur de l'« Instruction »
Si la sécularisation des biens du clergé (février 1764) et la poursuite de l'arpentage général des terres de l'Empire (ordonnée par Catherine en septembre 1765) ne pouvaient que renforcer son renom de souveraine tolérante et éclairée, encore ces mesures, reprises du règne précédent, ne pouvaient-elles suffire. Remettre de l'ordre dans une législation bouleversée par l'activité fébrile de Pierre le Grand, et refondre un code (le « Code d'Alexis ») vieux de plus de cent ans, nulle tâche n'était alors plus urgente en Russie. Chacun de ses prédécesseurs s'y était tour à tour essayé vainement. Mais sa culture, son admiration avouée pour Montesquieu ou pour Voltaire, un engouement plus ou moins vif pour les « Lumières » et la « philosophie », tout semblait désigner Catherine pour le rôle de législatrice qui l'attendait en Russie, et qui devait suffire à confirmer sa légitimité à l'extérieur. Cinq ans ne s'étaient pas écoulés depuis son avènement que Catherine convoquait déjà (manifeste du 14 décembre 1766) une commission « pour la rédaction d'un projet de code », et achevait – à l'usage des futurs députés – une Instruction (ou Nakaz) qui méritera d'être appelée par la suite « la publication la plus libérale du xviiie siècle russe ».
Rien n'était moins original, en un certain sens, que ce traité économico-politique où Catherine passait en revue les principaux articles de la législation et faisait (à la suite de Montesquieu, de Beccaria et des encyclopédistes) le procès de l'intolérance, de l'esclavage, de la torture... ou de l'inégalité. Encore ne saurait-on oublier ce qu'il y avait de hardi et de personnel à s'inspirer d'un livre aussi nouveau que le traité Des délits et des peines, dont la traduction française venait seulement de sortir en 1765, un an après la parution de l'original italien, et où Beccaria prêchait la nécessité de proportionner le châtiment au crime et de punir, non par esprit de vengeance, mais dans le seul souci de protéger la société – idées révolutionnaires alors aussi bien en Russie que dans le reste de l'Europe... « À Dieu ne plaise, écrivait Catherine au terme de son ouvrage, qu'il y ait, après l'achèvement de notre code, nation plus juste et, par conséquent, plus heureuse sur la terre » ; car, loin que les peuples soient créés pour les princes, ce sont eux au contraire – « nous le croyons, et nous faisons gloire de le dire » – qui sont créés pour leurs peuples. On ne pouvait donner meilleure définition du despotisme éclairé.
Nulle affirmation ne pouvait être mieux goûtée des philosophes, tenus jusque-là à l'écart de la vie politique, mais à qui Catherine semblait offrir[...]
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Écrit par
- François-Xavier COQUIN : assistant à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris
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