SAUVAGE CATHERINE (1929-1998)
Faute d'avoir été une chanteuse populaire, Catherine Sauvage reste l'image témoin, lumineuse et concrète, d'une époque majeure de l'après-guerre, fertile en utopies et en combats.
Jeanine Saunier – tel est son nom – naît à Nancy en 1929. C'est par le théâtre qu'elle fait l'expérience de la scène. Théâtre amateur pendant la guerre ; puis une expérience significative : un spectacle Brecht à Lyon (1954) sous la direction de Roger Planchon, repris à Paris, à Bobino. Plus tard, Jean-Marie Serreau monte un nouveau spectacle Brecht à l'Alliance française, repris et adapté, à la demande de Jacques Canetti, par Claude Regy à la Comédie des Champs-Élysées (1956), dans une chorégraphie de Dick Sanders. Les textes allemands ont été adaptés par Boris Vian. Catherine Sauvage restera fidèle à ce jongleur de mots et d'idées.
Pendant la guerre, Catherine Sauvage a été séduite par la chanson, appréciant la vitalité du « fou chantant », Charles Trénet. L'exemple de ce poète de la jeunesse et de l'insolite, l'aide à trouver sa propre voie d'interprète, basée sur l'exigence du choix et un naturel de la conviction. Son style se forge dès ses premières expériences parisiennes, au Bœuf sur le toit en 1947 avant de conquérir la rive gauche son véritable terrain, Saint-Germain-des-Prés, le quartier Latin. On remarquera une chanson fameuse qui reste attachée à son nom, Grand-Papa laboureur, de J. Broussolle et André Popp. Catherine Sauvage restera marquée à vie par la rencontre qu'elle fait au Caveau de la Huchette d'un nouvel auteur-compositeur rebelle, voire anarchiste, Léo Ferré, dont la plupart des chansons sont alors interdites de radio. La première, elle chante Monsieur William, en 1949, et lance littéralement Paris Canaille et C'est l'homme qui lui valut dès 1954 un grand prix du disque décerné par l'académie Charles-Cros, et suivi en 1962 et en 1992 (pour un disque consacré à Jacques Prévert) par deux autres grands prix.
Entre-temps, avant un premier passage à l'Olympia (1954), elle a rejoint le « clan » Canetti et l'équipe des Trois Baudets. Depuis lors, sa carrière se déroule au gré des tournées et des récitals. On marquera d'une croix blanche celui de la Gaîté Montparnasse (1961) et ceux de Bobino, mais la vague yé-yé perturbe la vie d'une artiste sans tapage et fidèle à la ligne tracée. Se tenant en retrait, elle ne désarme pas et reste pour ses amis et le public de ses amis, une sorte de prêtresse des poètes, par le geste, par la voix, par le regard, par la musique. C'est une vraie guirlande poétique où fleurissent les noms d'Aragon, de Queneau, de Brecht, de Carco, de Soupault, de Lorca, de Seghers, de Fombeure, de Mac Orlan, de Michaux, de Desnos, d'Audiberti, même Baudelaire et Colette... et les derniers venus, ses proches, Prévert, Vian, Ferré, Gainsbourg et aussi Gilles Vigneault découvert en 1960 lors d'une tournée au Canada.
En bonne musicienne, Catherine Sauvage a su s'entourer des maîtres de l'art. Sa route croise rapidement celle de Michel Legrand et surtout du pianiste Jacques Loussier dont certaines partitions ou improvisations d'accompagnement sont des moments d'anthologie. Catherine Sauvage a servi donc la chanson d'art et ce fut son bonheur. Conséquence, elle ne supporta pas la dictature de l'industrie musicale – celle du disque – qui fonctionne en autarcie commerciale alors que la chanson est du domaine de l'artisanat.
Catherine Sauvage laisse donc le souvenir d'une interprète à l'audace raffinée, dont l'écoute demeure un enchantement intellectuel en même temps qu'une pédagogie de la vie, du goût et de l'émotion. Aventurière ou exploratrice, les deux images conviennent et se complètent. Elle a traversé une époque en état de découvreuse. Elle le fit[...]
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Écrit par
- Guy ERISMANN : écrivain et musicologue, secrétaire général adjoint de l'Académie Charles-Cros
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