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SELLERS CATHERINE (1926-2014)

Cheveux noirs, teint pâle, corps fragile et gracile, Catherine Sellers était la comédienne tragique par essence. Incandescente, en tension permanente, la voix et le regard habités.

De son vrai nom Jacqueline Toubiana-Tabbah, Catherine Sellers, enfant d’une famille juive tunisienne, est née le 31 octobre 1926 à Paris. Pendant la Seconde Guerre mondiale, son père, déporté, disparaît dans les camps. Sa mère se réfugie en Tunisie avec elle. C’est à leur retour à Paris, au lendemain de la Libération, que Catherine Sellers se lance dans le théâtre, entamant un parcours exceptionnel, ponctué de rencontres d’exception : Claude Régy et Antoine Vitez d’abord, formés, en même temps qu’elle, au célèbre cours de Tania Balachova. Un an à peine après ses débuts dans Le Dialogue des carmélites de Bernanos, le premier la met en scène dans La Vie que je t’ai donnée, de Pirandello, en 1953 ; le second la retrouvera en 1974 dans Les Miracles, d’après L’Évangile selon saint Jean.

Autre rencontre capitale : Albert Camus, dont Catherine Sellers devient la compagne sur la scène comme dans la vie. L’écrivain l’a vue interpréter, en 1955, le rôle de Nina dans La Mouette de Tchekhov, mise en scène par André Barsacq. Il est subjugué. « J’aime, écrit-il dans ses Carnets, ce petit visage soucieux et blessé, tragique parfois, beau toujours ; ce petit être aux attaches trop fortes, mais au visage éclairé d’une flamme sombre et douce, celle de la pureté, une âme. » Aussitôt, il lui propose le rôle de Temple Drake dans Requiem pour une nonne de Faulkner, qu’il vient d’adapter. La pièce sera représentée en 1956. En 1959, Camus dirige à nouveau l’actrice dans une nouvelle adaptation, Les Possédés de Dostoïevski. La mort accidentelle de l’écrivain, le 4 janvier 1960, laisse Catherine Sellers désemparée. Cependant, après avoir interprété le rôle de Prouhèze dans Le Soulier de satin de Claudel, repris par Jean-Louis Barrault en 1958, elle se confronte à un autre rôle écrasant : l’Antigone de Sophocle, présenté en 1960 par Jean Vilar dans la cour d’honneur du palais des Papes, lors du festival d’Avignon.

Retrouvant Jean-Louis Barrault par la suite (Andromaque, en 1962 ; Diderot à corps perdu, en 1979), Catherine Selliers travaille également avec Georges Wilson (Les Enfants du soleil de Gorki, en 1963), André Barsacq (L'Idiot d'après Dostoïevski, en 1966), Pierre Debauche (La Cerisaie de Tchekhov, en 1971 ; La Cigogne d’Armand Gatti, en 1972), Marcel Maréchal (Hamlet de Shakespeare, en 1973), Simone Benmussa (Virginia d'Edna O'Brien, d'après les textes et les lettres de Virginia Woolf, en 1981, qui lui vaut le prix de la meilleure comédienne décerné par le Syndicat de la critique).

Paradoxalement, à l’exception d’Alain Resnais qui lui confie le rôle de Natalya dans Stavisky (1974), le cinéma n’a guère fait appel à cette personnalité aussi exigeante que discrète. À une exception notable : Marguerite Duras.

En 1969, alors que Tania Balachova met en scène son ancienne élève dans une pièce de Marguerite Duras, SuzannaAndler, l’écrivain lui offre le rôle principal de son film Détruire, dit-elle. Entre la comédienne et l’écrivain-cinéaste, l’accord est total et immédiat. À propos de la première, la seconde écrit : « Elle joue toujours plus loin que la scène, toujours. Et à la place toujours dangereuse. Et toujours, elle donne ce sentiment bouleversant que cette place – de laquelle elle vous renvoie le rôle – est la place véritable de ce rôle, même si vous, vous ne l’aviez pas encore aperçue. S’agit-il d’une compréhension générale ? Peut-être, oui, si par ce mot on entend aussi un savoir qui s’ignore. »

Devenue l’une des actrices fétiches de Duras, Catherine Sellers va jouer dans deux autres de ses films (Jaune le soleil, en 1971 ; La Femme du Gange, en1974),[...]

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Écrit par

  • : journaliste, responsable de la rubrique théâtrale à La Croix

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