CATHOLICISME La crise postconciliaire
Le singulier du terme « Église » contraste avec des pratiques et des croyances de plus en plus diversifiées – ou contradictoires – entre catholiques. Ces différences prolifèrent à mesure que s'épuise l'activité postconciliaire, fondée sur une utopie longtemps mobilisatrice. Elles se multiplient ou, simplement, elles réapparaissent dans le paysage où s'efface lentement, soleil couchant, le mythe réformiste et unitaire créé par le IIe concile du Vatican (1962-1965).
Un processus d’éclatement
Ces pratiques et ces croyances, « couvertes » par la référence catholique ou évangélique, ne sont plus articulées ni, encore moins, décidées par l'autorité romaine. Le fait n'est sans doute pas si nouveau. Le christianisme des premiers siècles ou celui du haut Moyen Âge se composaient d'« Églises » fortement différenciées et souvent très autonomes. Mais des autorités locales s'imposaient. Après l'accélération du processus de centralisation au xixe siècle et pendant la première moitié du xxe, un éclatement se produit partout, même si l'appareil administratif, amaigri sans doute et isolé, reste en place. Tout se passe comme si l'immense corps ecclésial abandonnait à leurs tendances propres les parties qui le composaient. Un hétéroclite se montre. Les fragments issus de périodes religieuses successives étaient naguère stratifiés et intégrés dans un ensemble ; ils s'en détachent. Des formations chrétiennes jadis liées ensemble, les restes, importants ou minuscules, florissants ou dépérissants, paraissent aujourd'hui désorbités. Ils suivent leurs trajectoires particulières. Ils sont entraînés par des courants locaux, nationaux ou internationaux qui échappent au contrôle d'un centre.
Plus qu'une disparition de la foi, c'est sa dissémination qui frappe. Pour profonde que soit l'expérience croyante, en quoi peut-elle être « ecclésiale » si les références qu'elle se donne, renvoyant à un passé bien circonscrit et défini, deviennent l'énigmatique métaphore d'un présent multiple, insaisissable et incommunicable ? Après un lyrisme réformiste vient une mise en cause de l'institution même. Une récession des Églises va de pair avec un renouveau des croyances. Cette combinaison n'est sans doute ni aussi paradoxale ni aussi durable que, tour à tour, on serait porté à le croire. Elle caractérise en tout cas la conjoncture postconciliaire des années 1970. Une crise fondamentale de l'Église (et de son idée même) se substitue à la prise de conscience, prémonitoire mais insuffisante, de sa réforme nécessaire.
À pénétrer dans le labyrinthe des manifestations religieuses actuelles, l'analyse prend forcément des chemins de traverse, déterminés par une situation et une expérience locales. Ces chemins sont discutables. Mais il y en a beaucoup d'autres, également discutables. Une triple interrogation conduit celui-ci : le fonctionnement des phénomènes religieux dans nos sociétés contemporaines ; le devenir d'un grand appareil idéologique ; les perspectives d'une foi chrétienne. Ces trois questions se confondaient naguère dans l'expérience vécue d'une Église. Leur séparation est l'effet, et peut-être la définition de la crise présente.
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Écrit par
- Michel de CERTEAU : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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