CATHOLICISME La crise postconciliaire
Un pluralisme pastoral
Les questions lisibles dans l'affaire Lefebvre ne sont pas généralisables. Aussi faut-il repartir du projet conciliaire pour esquisser quelques traits communs à travers la diversité des situations nationales.
Le IIe concile du Vatican, réuni sous l'impulsion de Jean XXIII (1958-1963) et clos par Paul VI (1965), était d'inspiration pastorale et missionnaire. Dus à des spécialistes. théologiens et religieux qui (au Vatican comme jadis à Trente) produisaient les textes, orientaient les évêques et jouaient le rôle décisif dans cette assemblée épiscopale, ses décrets les plus fermes correspondent à des recherches entreprises longtemps auparavant sur la liturgie, l'œcuménisme, la missiologie. Les deux principes essentiels de la réforme s'explicitent dans ces décrets : un pluralisme respectueux des différences locales ; une évangélisation prise en charge plus directement par les épiscopats nationaux. Moment de confrontation, heure de gloire, le concile représente en fait l'aboutissement d'un travail intense mais relatif à une situation antérieure fortement centralisée et enrichie par les renouveaux de l'après-guerre. D'un point de vue théorique, il conclut plus qu'il n'inaugure, sauf par une orientation, beaucoup moins élaborée, vers la communion en esprit de chrétiens appelés à des tâches d'intelligence et de justice dans le monde.
D'un point de vue pratique, les effets qui ont suivi concernent surtout la réorganisation oligarchique des structures gouvernementales de l'Église, le renforcement des corps épiscopaux nationaux, la mobilisation des clercs en vue de produire du langage religieux dans chaque langue, enfin la conscientisation des communautés chrétiennes en matière de justice sociale. La réforme administrative des « dicastères » (ou ministères) du Vatican fait une plus large place aux représentants des hiérarchies locales. Synodes et conciles créent, par nations ou par continents, des solidarités épiscopales qui accentuent à la fois la cléricalisation et la différenciation géographique de la pastorale. Les laboratoires linguistiques concentrent l'activité des clercs sur la traduction et la transformation du corpus chrétien ; ce réexamen de la tradition provoque un retour vers l'intérieur pour cause de ravalement et renforce l'autorité des « experts », mués en pédagogues du peuple chrétien, mais leur fait mesurer ainsi, à longueur de textes, la déperdition ou l'incommunicabilité des significations reçues. De cette activité centripète qui, dans l'Église, constate l'hémorragie des vérités mais acquiert plus de pouvoir, se distancie une activité centrifuge d'engagements politiques et sociaux permettant d'investir et d'exprimer dans la réalité de tâches historiques une foi lentement privée de langage spécifique. La pastorale du dire, projet initial, est partiellement remplacée, là, par un pouvoir interne du savoir, ici, par un « faire la justice » avec « les autres ».
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Écrit par
- Michel de CERTEAU : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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