CATHOLICISME La crise postconciliaire
La sexualité
Le groupe italien Communion et libération, créé en 1968, traditionaliste en matière de doctrine et de mœurs, hostile au divorce, mais progressiste dans les luttes sociales, est un exemple des tensions qui peuvent exister entre les deux domaines. Du mariage des prêtres au divorce des laïcs, la sexualité n'en est pas moins devenue, ces dernières années, la pierre de touche des positions et oppositions catholiques. Depuis l'encycliqueHumanae vitae sur le contrôle des naissances (1968) jusqu'aux appels de janvier 1976 contre l'immoralité sexuelle, le pape a multiplié les directives à propos de questions qui, avec le référendum italien sur le divorce (1975), prenaient une portée politique. Pourtant, aux États-Unis, d'après les sondages d'Andrew Greeley, 50 p. 100 des catholiques rejettent l'enseignement pontifical sur le divorce, alors que 15 p. 100 seulement l'approuvent ; d'autre part, 68 p. 100 des femmes catholiques pratiquent des formes illicites de contrôle des naissances. et la chute spectaculaire du catholicisme serait due à cette encyclique.
En Occident, ces interventions pontificales ont paru « médiévales » (on en trouverait pourtant de semblables dans les républiques socialistes de l'Est ou en Chine, où l'éthique est plus politique qu'individuelle). Elles le sont par le contenu, conforme au passé, d'ailleurs plus « xixe siècle » que médiéval. Mais bien davantage par la procédure, qui consiste à maintenir les principes, quoi qu'il en soit des pratiques : cette définition d'une « doctrine » indépendamment de la praxis heurte de front un postulat essentiel de la modernité, à savoir le caractère décisif des pratiques dans l'élaboration de la « théorie » qui les articule et qu'elles vérifient ou falsifient. L'écart entre doctrine et théorie désigne l'antinomie entre deux mentalités. À cet égard, par leur désaccord, beaucoup de catholiques refusent de voir leurs pratiques frappées d'insignifiance dans la construction d'une éthique. Ils récusent aussi l'autorité qui fait des clercs les seuls auteurs d'un langage chrétien : que ce langage soit retardataire ou progressiste, c'est finalement secondaire, par rapport à son mode de production.
Une autonomie des pratiques sociales se dégage ainsi des généralités qui, tel un nuage, couvraient les réalités quotidiennes. Au moment où les autorités catholiques officialisaient la révision du procès de Galilée (1974), elles en répétaient l'erreur : pas plus que le Soleil et les astres, les pratiques n'obéissent aujourd'hui aux injonctions de la Bible ou du pape. Certes, il doit y avoir des effets éthiques de l'attention portée à la parole évangélique (une conversion mesure toujours la compréhension), mais ils varient selon un jugement moral autonome. Rien n'assure plus qu'une éthique chrétienne soit possible.
Les débats sur la sexualité éclairent d'ailleurs la complexité des relations de l'Église avec la culture contemporaine. Désancré lentement de ses appartenances locales, familiales, mentales, voire sociales, l'individu peut circuler partout, mais partout il retrouve la loi universelle et anonyme d'organisations économiques ou de conformismes socioculturels : il peut donc rejeter dans les mesures romaines soit une déviance de moins en moins tolérée, soit une restriction à sa circulation auto-mobile, conjugale autant que géographique. Deux types de loi s'affrontent : l'une qui « tient » l'individu par un système général, l'autre, par une stabilité familiale. De même, le contrôle des naissances relève d'une maîtrise contemporaine sur les choses et sur l'avenir, d'une économie des charges individuelles, d'une conscience accrue des responsabilités éducatives et, plus globalement, d'une revendication [...]
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Écrit par
- Michel de CERTEAU : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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