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CATHOLICISME La crise postconciliaire

La prière. Les charismatiques

La prière devient un phénomène bruyant. Les « charismatiques » envahissent les stades, occupent les mass media et s'acquièrent même, lentement mais sûrement, la sympathie d'autorités heureuses de voir se remplir les églises désertées. Là encore, tout comme le sphinx, les chiffres sont « parlants » mais sans qu'on sache ce qu'ils signifient. Né en 1960 chez les protestants nord-américains, fondé par le pasteur Bennet, le mouvement pentecôtiste comptait déjà, en 1974, dix mille pasteurs. Il se caractérise par la prière partagée, l'abandon communautaire au chant prophétique (ou « glossolalie ») et les dons de guérison, comme dans la première communauté chrétienne de la Pentecôte. Il s'introduit en 1967 dans l'Église catholique des États-Unis. À la suite de ses premiers adhérents, des universitaires de Pittsburgh, il rassemble aujourd'hui plus de 600 000 membres, auxquels il faut ajouter près de 200 000 autres hors des États-Unis.

Massivement recrutés chez les « cols blancs » et dans la moyenne petite bourgeoisie, le mouvement ne représente pas seulement « la foi sauvage des gens ordinaires ». Son guru international et prédicateur itinérant, le père Jean-Paul Regimbald, un Québécois, a prêché, en 1975, une retraite à deux mille hommes d'affaires, dans un grand hôtel de Toronto et, en 1976, à une partie importante des membres du gouvernement et du Parlement québécois. Ce sont là épisodes par rapport à des traits spécifiques : une croyance « populaire » qui chante quoique sans langage, qui fait parler le corps et le guérit ; l'abandon mutuel dans la fraternité festive ; mais aussi, par ces détours, la rémanence de la doctrine traditionnelle et de la hiérarchie sacerdotale (au Canada, le père Regimbald, en France, le père de Monléon sont les inspirateurs et manuducteurs intellectuels des groupes).

Le dynamisme spirituel est incontestable, même s'il s'aligne sur les formes de la « société du spectacle ». En fait, un besoin de croire, exacerbé par le vide de cette société, semble se conjuguer avec le besoin d'une appartenance (les adhérents étaient presque tous catholiques avant leur conversion), mais d'une appartenance dont le contenu est lui aussi devenu un vide. Tout se passe comme s'il fallait qu'il y eût , dans cette Église opaque à elle-même, un Esprit, et comme si une eau inattendue naissait dans les caves de la vieille maison. Pour cette prière charismatique, il n'y a plus de projet, mais seulement la trace des désirs et du lieu hier producteurs de langages objectifs ; il n'y a plus de cause, mais seulement son leitmotiv intérieur. L'harmonie collective ne dit plus rien que cette absence d'objet, l'Esprit, mais elle instaure ainsi une liberté heureuse dans le précaire et le quotidien qui servent de rendez-vous pour la communion. Cette spiritualité de l'homme ordinaire rejoint une conscience commune de ne plus pouvoir transformer l'ordre des choses, mais elle l'affecte d'une valeur innommable, l'Esprit, et du pouvoir miraculeux de se retrouver dans le presque rien – une quotidienneté privée de légitimation, des mots privés de sens.

Peut-être qu'après tout, le spectacle en moins, la manifestation charismatique n'est pas si étrangère au murmure de la prière la plus commune, celle à qui a été enlevé son pouvoir sur le corps social, qui se trouve dépossédée de ses ambitions sur l'histoire, finalement docile à des réalités qu'aucune idéologie n'a été capable de changer et qu'il faut accepter quand on n'a pas les bonnes places. Attestant à sa manière la disparition d'un langage de la foi et l'impossibilité d'une élaboration éthique, sans propre et sans « bonne place », elle procure toutes les semaines le lieu poétique d'un bien-être ensemble et le recommencement[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

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