CATHOLICISME LIBÉRAL ET CATHOLICISME SOCIAL
Catholicisme libéral, catholicisme social, démocratie chrétienne : trois courants de pensée qu'il serait déraisonnable de traiter comme s'ils n'avaient entretenu aucune sorte de relation réciproque. Assurément, ce qui les différencie est souvent essentiel : entre catholiques libéraux et démocrates chrétiens, il y a toute la distance qui sépare au xixe siècle le libéralisme de la démocratie, et, d'autre part, le catholicisme social réprouve le libéralisme qu'il tient pour responsable des maux qui affligent la société.
Plusieurs traits apparentent néanmoins ces écoles et autorisent à les considérer, dans une certaine mesure, comme autant de manifestations d'une même tentative pour assurer la présence active du christianisme dans la société contemporaine. C'est, en premier lieu, la référence explicite et délibérée au catholicisme. La fidélité avouée à l'Église est au principe de ces trois écoles. Catholiques libéraux, catholiques sociaux, démocrates chrétiens acceptent dans son intégralité le dogme défini par l'Église : ils reçoivent son enseignement, sans restrictions ni aménagements. Limitant leur ambition au domaine des applications à la société, ils se défendent de vouloir prendre position dans l'ordre de la foi. Cette précision prévient l'équivoque que l'analogie des appellations risque de provoquer entre catholicisme libéral et protestantisme libéral : ce dernier exprime une tendance à interpréter les dogmes à la lumière du rationalisme moderne, et va parfois jusqu'à remettre en question la foi même en la divinité du Christ. Rien de tel dans le catholicisme libéral. Cependant, l'adhésion à la cause de la liberté ou la sympathie pour la démocratie colorent inévitablement l'appartenance à l'Église et affectent le jugement sur son organisation interne. Les catholiques libéraux s'accommoderont plus difficilement que les intransigeants de l'autorité souveraine du pape, surtout si celle-ci s'exerce pour condamner l'usage des libertés ; des démocrates chrétiens seront tentés de souhaiter que la coercition cède le pas à la discussion dans l'Église. De la constitution interne et de la discipline, leurs préférences gagneront-elles le contenu dogmatique de la foi ? C'est la thèse des adversaires : acharnés à les perdre, ils s'évertueront à prouver qu'un catholique libéral ou social ne peut être un bon catholique puisqu'il éprouve le besoin d'ajouter une nuance propre à l'enseignement commun. C'est par réaction contre ces appellations distinctives que les catholiques attachés à une tradition immuable se sont baptisés « intégraux » : procès de tendance contre lequel s'élève la fidélité indéfectible à l'Église de tant d'adeptes de ces trois familles.
Elles sont si loin de se détacher de l'Église que c'est le souci de défendre ses libertés, de préserver son influence ou d'accroître son rôle qui inspire toutes leurs entreprises. La deuxième caractéristique qui les rapproche, en les singularisant par rapport à l'ensemble de leurs coreligionnaires, est en effet la conviction partagée que le catholicisme n'est pas une affaire privée : il implique des conséquences pour l'ordre social. Elles se refusent donc à entériner une séparation radicale entre l'ordre social et la religion. Les chrétiens doivent emprunter à l'Évangile les normes et les lumières de leur pensée et de leur action. Les différences entre ces trois courants naissent au-delà de ce point commun : leurs analyses de la société divergent et ils n'accordent pas leur sympathie aux mêmes valeurs.
Leur nature mixte constitue le troisième trait de parenté de ces mouvements. Ils intéressent à la fois la réflexion théorique et l'activité pratique. Ce sont[...]
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Écrit par
- René RÉMOND : président de la Fondation nationale des sciences politiques
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