BERBERIAN CATHY (1925-1983)
Ayant choisi, plus par goût que par accident, la route périlleuse de la création contemporaine, Cathy Berberian n'appartenait pas au monde des stars d'opéra. Le public de mélomanes, celui qui lance tous les trois mois une nouvelle diva, l'a superbement ignorée ; mais, alors que les divas d'un trimestre tombent rapidement dans les trappes de l'oubli, le souvenir de Cathy Berberian survivra, associé à une série d'œuvres nouvelles dont elle fut l'inspiratrice et la créatrice et qui appartiennent aux classiques du xxe siècle.
Américaine de naissance, Arménienne d'ascendance, résidant en Italie, Cathy Berberian est née à Attleboro, dans le Massachusetts, le 4 juillet 1925. Ses études, accomplies à l'université de New York et à l'université de Columbia, l'ont conduite à s'intéresser à la musique, au théâtre, à la littérature, à la danse — espagnole et indienne —, qu'elle pratiquait au sein de l'American Folk Group de New York, dont elle fut une des solistes.
Mais, en quittant les États-Unis, Cathy Berberian pose les premiers jalons de son apprentissage spécifique et de sa carrière internationale. Titulaire d'une bourse Fulbright en 1950, elle décide en effet de se fixer en Italie, et c'est à Milan qu'elle fait de sérieuses études de chant sous la direction de Giorgina del Vigo ; elle obtient ses premiers engagements à Naples avec le concert des « Incontri Musicali » en 1957, puis à Rome dans Aria with Fontana Mix de John Cage en 1958 ; elle débute aux États-Unis à Tanglewood en 1960 avec Circles de Luciano Berio.
En 1950, Cathy Berberian épouse Berio. Ils resteront mariés pendant seize ans mais, jusqu'à son dernier jour, elle sera l'interprète privilégiée de l'auteur de Circles et sa complice dans tous les hauts lieux de la musique moderne. L'un et l'autre s'accordèrent pour s'attaquer à l'utilisation académique de la voix, pour explorer le domaine des cris et des chuchotements volontiers prolongés par de subtiles percussions délicatement manipulées par la chanteuse. L'un et l'autre abordèrent du même coup sur les rives du théâtre musical, associant dans une démarche univoque le verbe et le geste. Cathy Berberian, voluptueusement féminine, énigmatiquement extravagante, proposait à ses auditeurs des spectacles fascinants. « Tout comportement peut être transformé, développé d'une façon « théâtrale », dit Luciano Berio. La musique est une sorte de réservoir de théâtre parce que tous ses gestes sont en partie ritualisés ; ils appartiennent à une convention, à un code d'écoute et à un code visuel. » D'Omaggio a Joyce (où la voix est devenue matériau électronique) à la Sequenza III, d'Épiphanie aux Folk Songs et à Chamber Music, la liste des œuvres que Berio a composées pour Cathy Berberian est longue. Mais la virtuosité de la chanteuse, l'extraordinaire flexibilité de sa technique, l'incroyable gamme de ses couleurs sonores, sa saisissante présence scénique ont inspiré d'autres musiciens et non des moindres : on citera Sylvano Bussotti (pour Torso et la Passion selon Sade), John Cage (pour les Song Books), Henri Pousseur (pour Votre Faust), Hans-Werner Henze, Roman Haubenstock-Ramati, sans oublier Igor Stravinski dont elle interpréta la brève Élégie pour J.F.K. « Spécialisée » dans la musique de son temps, Cathy Berberian, loin de vouloir dresser des barrières entre les époques et les styles, pratiquait les confrontations et, en une soirée, parcourait allègrement — et dans l'allégresse — plus de trois siècles de musique. Ainsi, au cours d'une soirée-récital à un personnage intitulée « De Monteverdi aux Beatles », elle était capable de chanter en trente-trois langues les œuvres de quarante-cinq compositeurs originaires de trente pays différents ! Un autre soir,[...]
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Écrit par
- Claude SAMUEL
: critique musical au
Point et auMatin , directeur du centre Acanthes, Paris
Classification
Média
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