CATULLE (82-52 av. J.-C.)
Modernité de Catulle
Sur le plan moral
Comment ne pas reconnaître en Catulle une âme fraternelle ? Comme lui, nous sommes épris de sincérité et d'authenticité, d'indépendance et de justice. Nous sommes tiraillés entre les appels de l'instinct (trop souvent déifié !) et une éthique du dépassement. Nous aspirons à nous sentir solidaires, mais nous avons bien du mal à nous adapter, conscients des forces antagonistes se livrant un perpétuel combat dans notre « moi » comme dans le monde extérieur, et dans la société comme dans l'art ; anxieux, en fin de compte, devant notre solitude et notre finitude : ...nox est perpetua una dormienda (V, 6).
Sur le plan esthétique
Dans ce domaine, la modernité ne doit être recherchée ni du côté de la « poésie pure », ni sous l'aspect d'une immédiateté automatique, ni sous celui d'une problématique « incommunicable » (notre poésie moderne chante souvent pour elle-même ; l'interlocuteur, réel ou fictif, jouait un rôle essentiel dans la poésie antique : d'où, par exemple, la proportion impressionnante des « interrogations oratoires » dans la poésie catullienne). Sans jamais mettre en doute la nécessité primordiale de l'inspiration, Catulle et les autres poetae noui ont bien senti que, sans la maîtrise d'un « métier » toujours perfectible et sans une doctrina consistant en un goût difficile plus encore que dans l'érudition, il est impossible de traduire avec fidélité et intensité nos aventures personnelles ou le comportement de héros qui ne sont que nos masques. La critique contemporaine a revalorisé les grandes compositions centrales du Liber catullien : L'Attis, Les Noces de Thétis et de Pélée, L'Élégie à Allius (premier modèle de la grande élégie qui triomphera au siècle d'Auguste), autant d'héroïsations du souverain bien selon les vues du poète, à savoir une « union » comblant indistinctement le cœur et les sens, un hommage à la fides idéale autant qu'à l'amour idéal. La fiction mythique (et le poète en prend à son aise, précisément, avec les données de la fable) compense les déboires de la vie sentimentale.
Mais il importe, et rien n'est plus moderne, d'établir un parallèle entre l'action du mythe et celle de l'imagerie. Rôle très analogue d'édification, assez voisin de la catharsis théâtrale (cf. notamment LXV, 19-24 et tout LXII). À cette fonction concourent efficacement les schèmes de composition : Catulle est le premier à avoir usé de la structure embrassée en dehors du lyrisme d'apparat (Pindare), et non seulement pour la disposition des thèmes et motifs, mais aussi pour l'enchaînement des systèmes d'images et des rythmes indissociables : expression de hantises complémentaires, ou alternance des grâces mondaines (imposées par les modes du jour) et d'une démesure romantique alliée à d'impérieuses constantes éthiques.
Ce refus – même si Catulle n'en a pas eu toujours bien conscience – de l'art pour l'art éloigne notre poète d'un Callimaque. Mais ce dernier est loin de représenter tout l'alexandrinisme ! La recherche savante du xxe siècle a eu le mérite de mettre en lumière l'hétérogénéité du mouvement « alexandrin ». Catulle est plus proche d'Apollonios et de Théocrite que de Callimaque, malgré sa révérence apparente pour ce dernier.
Soulignons surtout ce qu'on peut appeler les « hardiesses d'expérimentateur » de Catulle. Elles concernent, en plus de sa métaphorique, sa musicalité (chaînes vocaliques et dominantes phonétiques, hiatus, coupes et allitérations expressives, etc.).
En définitive, nous avons affaire à un génie de synthèse et à un novateur capital. Il n'est pas jusqu'à l'étude de sa facture qui ne fasse ressortir, outre les avantages de l'ingéniosité[...]
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Écrit par
- Jean GRANAROLO : agrégé de grammaire, docteur ès lettres, professeur émérite à l'université de Nice
Classification
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