CAUDILLISME
Le caudillisme triomphant
Pour l'Amérique espagnole, la phase de remembrement de la souveraineté et de construction des États, qui a occupé partout la première moitié du xixe siècle, a été l'ère du caudillisme triomphant ; dans plus d'un pays, elle s'est prolongée pendant tout le xixe siècle. Les dictatures des caudillos n'ont alors permis que d'éphémères ébauches de régimes constitutionnels sur le modèle représentatif. Seul le Brésil a pu éviter la phase du caudillisme, qui y est demeuré une déviation politique régionale, parce que l'indépendance pacifiquement acquise n'y a pas brisé les cadres politiques antérieurs et y a permis la transformation d'une monarchie coloniale en monarchie nationale ; tandis qu'il fallait construire de nouvelles nations avec les fragments dispersés de l'empire espagnol, le Brésil a continué d'exister.
Les diverses régions de l'Amérique espagnole avaient obtenu leur indépendance entre 1811 et 1815. L'apogée du caudillisme se situe dans la période 1830-1860, alors que les chefs du mouvement d'indépendance achevaient de disparaître de la scène politique. Aucun pays hispano-américain n'évite alors le caudillisme, soit qu'un caudillo, ayant éliminé ses adversaires, maintienne durablement une dictature de fer, soit que des caudillos, se chassant tour à tour du pouvoir, entretiennent d'interminables guerres civiles. En Argentine, c'est Rosas (1835-1852) ; au Paraguay, Francia (1814-1840), suivi des deux López (1841-1870) ; au Venezuela, Páez (1830-1863) ; au Mexique, Santa Anna (1828-1844) ; au Guatemala, Rafael Carrera (1838-1865) ; en Équateur, Juan José Arévalo (1830-1843). En Colombie, de 1836 à 1870, la guerre civile est sans cesse ranimée par les luttes de caudillos dont aucun ne s'impose longtemps ; il en est de même au cours de cette période en Uruguay, en Bolivie, au Pérou. Le caudillisme règne de façon encore plus complète et plus incohérente en Amérique centrale : avant de se démembrer en 1839 en cinq États (Salvador, Honduras, Nicaragua, Guatemala, Costa Rica), une Confédération des États-Unis d'Amérique centrale, fondée dix-huit ans plus tôt, avait vu près de quatre cents personnes se disputer les gouvernements centraux et provinciaux ; la Confédération dissoute, les caudillos ont continué à se battre dans les États successeurs, à l'exception du Costa Rica.
Dans quelques pays hispano-américains – Chili, Argentine, Colombie – dès la seconde moitié du xixe siècle, la phase du véritable caudillisme est terminée ; ses survivances peuvent y perturber encore la vie politique, mais non plus la dominer. Dans des pays bien plus nombreux, le caudillisme prévaut encore jusque dans les premières années du xxe siècle. Avant que Battle y Ordóñez y assure durablement, en 1903, une démocratie organisée, l'histoire de l'Uruguay avait été celle d'une perpétuelle guerre civile, dans laquelle l'étiquette de deux partis – blanco et colorado – recouvrait les manœuvres de caudillos et les conflits entre la société rurale et la ville de Montevideo. Au Mexique, Porfirio Díaz, dont la dictature commencée en 1876 durait encore en 1910, était un pur caudillo et, après sa chute, le caudillisme a persisté dans une longue révolution jusqu'à l'éviction de Calles en 1934. On trouverait bien d'autres exemples en Bolivie, en Équateur, au Pérou et en Amérique centrale, où le déclin du caudillisme ne s'opère que lentement, mais le cas le plus saisissant, parce qu'il est celui d'un grand pays, qui deviendra relativement prospère, est celui du Venezuela, où, de 1830 à 1935 presque sans interruption, un caudillo succède à l'autre : Páez (1830-1843), les frères Monagas (1847-1861), Páez de nouveau (1861-1863), sept années de guerres civiles indécises, Guzmán Blanco (1870-1887), Crespo (1892-1897),[...]
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Écrit par
- Jacques LAMBERT : professeur à la faculté de droit et des sciences économiques de Lyon.
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