CAUSALITÉ
Sciences sociales
L'histoire des rapports entre les sciences sociales et la notion de cause est dominée par deux faits. Le premier est une conséquence du lien qui, notamment à leurs débuts, a uni les sciences sociales à la philosophie. Celle-ci comporte en effet une tradition de pensée vivace, associée à des noms tels que ceux de Hume et de Wittgenstein, selon laquelle l'idée de cause serait un concept obscur et inutilisable. En écho, de nombreux sociologues contestent la pertinence de l'idée de cause. Certains affirment comme Auguste Comte que la recherche des causes doit être remplacée par la recherche des lois. D'autres, arguant de la spécificité des sciences sociales, rejettent les explications de type causal du côté des sciences de la nature et proposent de leur substituer l'explication par les fonctions ou la méthode compréhensive, attachée notamment au nom de Max Weber, qui, chez Weber lui-même, doit se combiner à l'analyse causale.
Mais le développement des recherches sociales empiriques a réintroduit la notion de cause. Malgré les contestations théoriques, l'idée est généralement admise aujourd'hui que le sociologue ne peut guère se dispenser du langage causal. Cependant, il lui manquait de disposer d'une instrumentation adéquate. Durkheim est le premier à avoir compris qu'elle suppose l'utilisation de ce qu'on appelle aujourd'hui la méthode des modèles. Cette méthode est appliquée, quoique de manière fruste, dans Le Suicide. Mais ce n'est que fort tardivement que les sociologues ont forgé des instruments d'analyse causale rigoureux, comparables à ceux qu'utilise l'économétrie.
Ces méthodes permettent de lever le discrédit du langage causal en sociologie, car elles en font un langage à la fois indispensable et commode.
Le rôle de l'explication causale dans les sciences sociales
De nombreux sociologues ont contesté ou contestent encore que l'idée de cause telle qu'elle est utilisée dans les sciences de la nature puisse être retenue par les sciences sociales. Les arguments sont variés et diffèrent d'Auguste Comte à Max Weber et de Max Weber à McIver. On peut cependant les réunir.
Tout d'abord, n'est-ce pas à tort et par simplification qu'on parle de cause en sociologie alors qu'on ne peut jamais observer que des liaisons statistiques ? Ne faut-il pas abandonner cette notion au profit de termes atténués, et parler seulement, par exemple, de dépendance ou de relation ?
D'autre part, la notion de cause, si elle a un sens, et s'il est effectivement possible de décider de la vérité ou de la fausseté de propositions causales, suppose qu'on admette le postulat du déterminisme. Force est donc de considérer la réalité sociale comme une nature, c'est-à-dire comme un ensemble d'objets et d'événements qui s'imposent à l'observateur de l'extérieur sans qu'il ait un accès immédiat à leurs interrelations. Cela est-il légitime ? Ne doit-on pas préférer à l'explication par les causes une explication par les fonctions, puisque toute société forme un tout et que les relations entre les parties dépendent de ce tout ? En outre, les événements qui surviennent dans un système social sont, au moins partiellement, le fait d'acteurs capables de décisions, d'anticipations, de stratégies. Les caractères spécifiques de l'objet social n'excluent-ils pas l'explication par les causes pour appeler une explication par les raisons ?
Plus généralement, peut-on légitimement décrire les phénomènes sociaux comme s'ils étaient des phénomènes naturels ?
L'explication par les fonctions ou les raisons n'est pas la seule à avoir été mise en concurrence avec l'explication par les causes. On a aussi opposé, bien à tort, causalité et[...]
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Écrit par
- Raymond BOUDON : membre de l'Académie des sciences morales et politiques, professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
- Marie GAUTIER : doctorat de philosophie et de communication, chargée d'enseignement de logique, pragmatique, philosophie de l'art, université de Paris-III et Institut catholique de Paris
- Bertrand SAINT-SERNIN : professeur à l'université de Paris-X-Nanterre
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