CAVOUR CAMILLO BENSO DE (1810-1861)
Article modifié le
Un seul but : l'unité de l' Italie, une foi absolue dans la liberté, un sens aigu des réalités et la volonté d'en tenir compte dans les choix politiques, tels sont les principaux traits qui caractérisent le comte de Cavour, principal artisan de la réunification de l'Italie au xixe siècle. Aristocrate, il fonde son pouvoir sur l'adhésion de la bourgeoisie ; libéral, il recherche l'alliance de l'Empire autoritaire ; quoique partisan de l'unité de la Péninsule, il s'oppose militairement à l'entrée de Garibaldi dans Rome... Son génie fut d'avoir compris que la politique est avant tout l'art du possible, la science du « juste-milieu ».
La formation de l'homme d'État
Camillo Benso, comte de Cavour, naquit et mourut à Turin. Son frère aîné, Gustave, qui devait devenir un des représentants piémontais du catholicisme intransigeant hérita du titre de marquis ainsi que de la plus grande partie du patrimoine familial ; à Cavour, le frère cadet, revint le titre de comte. Il se destinait à la carrière militaire : aussi entra-t-il à dix ans à l'Académie militaire de Turin et en sortit, en 1826, comme sous-lieutenant dans le corps royal du génie ; deux ans après, il fut envoyé à Vintimille, puis à Exilles, enfin à Gênes en 1830. Dans cette grande ville qui, au cours de la première moitié du xixe siècle et dans un Piémont encore gouverné par un absolutisme insensible aux idées libérales, était le centre des courants démocratiques, il s'enthousiasma à la nouvelle de la révolution de Juillet à Paris et de l'accession au trône du roi constitutionnel, Louis-Philippe. Convaincu que le monde était « entraîné dans une marche fatale vers de nouveaux buts », il lui sembla voir l'Italie libérée de la domination autrichienne et il donna libre cours à ses idées jacobines. Son langage hardi le signala aux autorités militaires et il fut même accusé d'appartenir au carbonarisme, ce qui provoqua son transfert au fort de Bard, dans la vallée d'Aoste, véritable exil, avec mission de surveiller des travaux de construction. Un tel isolement le poussa à envisager sérieusement son départ de l'armée, sentiment qui naquit en même temps que son intérêt toujours plus grand pour les problèmes politiques.
Les influences de jeunesse
Cependant, l'exemple du libéralisme français et une sincère adhésion à la philosophie des Lumières avaient marqué son éducation. Ces options le prédisposaient à accepter également l'enseignement du milieu genevois auquel il était lié par sa mère qui faisait partie de l'aristocratie protestante et libérale et qui devait, par la suite, se convertir au catholicisme. Cavour séjourna à Genève, chez son oncle, le comte de Sellon, une première fois en 1826, et plus tard en 1833, après avoir écrit à son oncle : « Je veux venir en Suisse pour respirer dans une atmosphère de raison. » Aussi peut-on dire que l'influence du rigorisme protestant genevois fut grande sur lui, mais plus encore l'influence des représentants les plus radicaux du siècle des Lumières : de Rousseau, il disait en 1833 que personne plus que lui n'avait contribué à « relever la dignité humaine » et que sa voix éloquente l'avait fixé « dans le parti du progrès et de l'émancipation sociale ». À côté de ces influences doit être relevée celle de l'empirisme anglais ; il semblait s'opposer au rationalisme français, mais il devenait, pour lui, expression d'un esprit prêt à accueillir les suggestions et les indications jaillies de la réalité (le moment empirique) pour édifier, à partir de là, ses propres créations politiques (le moment rationaliste).
Sur le plan politique immédiat, il fut attiré, comme d'autres en Italie (De Sanctis à Naples, par exemple), par l'expérience libérale tentée en France après 1830 et, en particulier, par la politique du « juste-milieu » dans laquelle se canalisa vers 1835 son jacobinisme initial : « Quand je dis le “juste-milieu”, écrivait-il cette année-là à son précepteur l'abbé Frézet, j'entends cette politique qui consiste à savoir concéder aux nécessités de l'époque tout ce que la raison peut admettre de juste, et à récuser ce qui n'a de fondement que dans les clameurs des partis et dans la violence des passions anarchiques. » Toutefois, ce « juste-milieu », transporté dans le Piémont réactionnaire de Charles-Albert, devenait une politique innovatrice, presque révolutionnaire, tant était vif le désir exprimé par Cavour de voir « le gouvernement entrer dans la voie du “juste-milieu”, en procédant progressivement dans les innovations politiques et sociales que l'époque demande ».
Le théoricien du libre-échange
Certes, à cette époque-là, les idées de Cavour étaient en nette opposition avec celles de la société piémontaise ; c'est pour cela qu'il se consacra, avec enthousiasme et de toutes ses forces, à l'agriculture et aux affaires : il fit de son domaine de Leri une exploitation moderne et avancée ; de plus, il manifestait un vif intérêt pour la mécanique agraire, commandait de nouvelles machines et suggérait des modifications à apporter aux anciennes. Il participa également à la fondation de la Banque de Turin ; cet institut de crédit, conçu à l'exemple de ceux qui existaient dans les pays les plus évolués, devait enrichir la vie économique du Piémont. En même temps, il voyagea beaucoup à l'étranger, en France, en Angleterre et se déclara partisan du libre-échange qui, après 1840, triomphait en Angleterre. Cavour estimait, en effet, que la situation du Piémont était semblable à celle de l'Angleterre : le Piémont, lui aussi, avait besoin d'importer des produits agricoles ; la liberté ferait progresser l'agriculture. Sur ce sujet, il écrivit en 1845 un essai, De la question relative à la législation anglaise sur le commerce des céréales, qui fut suivi, en 1847, de L'influence que la nouvelle politique commerciale anglaise doit exercer sur le monde économique et sur l'Italie en particulier. De plus, il étudia avec un intérêt particulier un pays que l'on pouvait appeler sous-développé, l'Irlande (Considérations sur l'état actuel de l'Irlande, 1844), vers lequel, en ces années-là, se portait même l'attention d'un Cattaneo. Enfin, Cavour se consacra surtout à l'analyse concrète de la situation économique en Italie et étudia les moyens nécessaires à son évolution dans un essai de 1846, intitulé Sur les voies ferrées italiennes.
Les débuts dans la carrière politique
Cavour, de cette façon, se préparait à la vie politique active, et la révolution de 1848 lui en fournit l'occasion. Déjà, à la fin de 1847, la liberté de la presse accordée par le roi lui avait permis de fonder un journal, Il Risorgimento, dans lequel il soutenait un programme visant à l'union des princes et du peuple et préconisait le progrès par la voie des réformes et par une ligue des souverains italiens. Il s'agissait là d'un programme trop hardi pour les modérés et trop conservateur pour les démocrates ; il se heurta à l'hostilité des uns et des autres qui, tous, tentèrent de s'opposer à son entrée dans le ministère d' Azeglio en 1849, après la reprise de la guerre contre l'Autriche et la défaite de Novare. Cependant, il réussit à y entrer et, dès lors, il devint le chef de la majorité ministérielle, bien que cette dernière fût encore composée en grande partie des représentants des vieilles classes privilégiées. Aussi dut-il mener de dures batailles pour moderniser l'État, comme, par exemple, la lutte pour le vote des lois Siccardi sur l'abolition du tribunal ecclésiastique et du droit d'asile des églises. Pendant ce temps, il passait du ministère de l'Agriculture à celui des Finances (19 avril 1851) et s'opposait à d'Azeglio qui voulait limiter la liberté de la presse. Ce dernier était influencé par le coup d'État du 2 décembre 1851, car l'accession de Napoléon III au pouvoir marquait l'échec des courants démocratiques et radicaux dans l'Europe entière. Pour réagir contre le choix réactionnaire de d'Azeglio, Cavour favorisa, en février 1852, le connubio, alliance du centre droit et du centre gauche conduite par Urbain Rattazzi. Cette alliance élimina définitivement de la direction des affaires publiques les classes conservatrices et réactionnaires et fit accéder la bourgeoisie au pouvoir : Cavour, par cet acte, montrait qu'il avait tiré les leçons des révolutions de 1848-1849 qui s'étaient achevées par une faillite de la bourgeoisie, mais en avaient également révélé la maturité pour assumer une fonction de direction dans la vie politique du pays. Cette politique eut pour effet, enfin, d'attirer l'attention de toute la bourgeoisie de la Péninsule sur ce petit pays qui en contentait les plus vives aspirations. Par la suite, Cavour ne manqua jamais de parler du connubio comme d'un acte qui avait promu un grand parti libéral, barrière infranchissable contre la réaction.
Accédez à l'intégralité de nos articles
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Franco CATALANO : professeur à l'université de Milan
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
Classification
Média
Autres références
-
AZEGLIO MASSIMO TAPARELLI marquis d' (1798-1866)
- Écrit par Paul GUICHONNET
- 925 mots
L'un des grands artisans de l'indépendance nationale italienne. Originaire d'une famille d'ancienne aristocratie et de tradition catholique, d'Azeglio s'émancipe de son milieu par son indifférence religieuse et son absence de préjugés sociaux. Ses années de formation (1807-1840) sont occupées...
-
EMPIRE SECOND (1852-1870)
- Écrit par Stella ROLLET
- 12 843 mots
- 9 médias
...des considérations de politique intérieure n’amènent l’empereur à vouloir l’entraver. Le roi de Piémont Victor-Emmanuel II et son président du Conseil Camillo Cavour, conscients que l’Italie ne peut plus agir seule, en particulier face à l’occupant autrichien, cherchent l’alliance française. La sympathie... -
GARIBALDI GIUSEPPE (1807-1882)
- Écrit par Pierre MILZA
- 2 655 mots
- 2 médias
...enfin, après un périple maritime en Océanie et en Asie, l'Angleterre où il retrouve Mazzini, dont il ne va d'ailleurs pas tarder à s'éloigner politiquement. En mai 1854, Cavour l'ayant autorisé à rentrer, il est de retour dans sa ville natale. L'année suivante, il achète la moitié de l'île de Caprera, entre... -
ITALIE - Histoire
- Écrit par Michel BALARD , Paul GUICHONNET , Jean-Marie MARTIN , Jean-Louis MIÈGE et Paul PETIT
- 27 503 mots
- 40 médias
La bourgeoisie d'affaires se rallie à la solution piémontaise. Son idéal s'incarne en Camille Benso di Cavour, ministre en 1850, puis président du Conseil. Il s'agit de créer, sur la base d'intérêts économiques communs, une conscience nationale, de permettre au « pays légal » de gérer la chose publique... - Afficher les 8 références
Voir aussi