CEDH (Cour européenne des droits de l'homme)
La CEDH confrontée à de nouveaux défis
La Cour affronte aujourd’hui trois défis principaux : l’engorgement, la résistance et le développement, au sein même du Conseil de l’Europe, de régimes plus ou moins autoritaires.
Il est devenu banal d’observer que la Cour européenne des droits de l’homme est « victime de son succès » : depuis l’adhésion des États de l’ancien bloc soviétique, elle court le risque réel d’être submergée par le nombre de requêtes qui lui parviennent. Pour donner un ordre d’idée, au 31 décembre 2021, 70 150 requêtes étaient en attente de jugement. La plupart des modifications apportées au fonctionnement de la Cour européenne des droits de l’homme depuis plus de vingt ans visent à faire face à ce problème. À titre d’exemple, la procédure des « arrêts pilotes » consiste à examiner une seule requête pour traiter un problème structurel qui affecte de nombreuses personnes. La Cour indique à l’État les mesures à prendre et raye du rôle l’ensemble des requêtes similaires lorsque les autorités nationales ont obtempéré. D’autres mécanismes consistent à resserrer les exigences de recevabilité des requêtes. Désormais, la Cour doit être saisie dans les quatre mois qui suivent la dernière décision rendue par une juridiction nationale, et le requérant doit montrer qu’il a subi un « préjudice important ». Compliquer de la sorte l’accès à la Cour peut sembler contraire à l’objectif de protection des droits de l’homme, mais l’engloutissement de la Cour sous une avalanche de requêtes ne serait pas plus bénéfique.
À mesure que la Cour est montée en puissance, les critiques dont elle fait l’objet se sont développées. Nombreuses sont les personnalités politiques, y compris en France, qui lui reprochent de violer la « souveraineté » des peuples. Des attaques particulièrement vives ont été formulées au Royaume-Uni, dans les années 2000, après que la Cour a identifié plusieurs violations de la Convention dans des domaines très sensibles, comme l’expulsion des personnes condamnées pour terrorisme ou la privation du droit de vote des détenus. Ce procès en légitimité est redoutable pour la Cour. Il semble la conduire à observer une certaine réserve, qui s’inscrit dans le respect du principe de « subsidiarité » et de la « marge nationale d’appréciation ». Ces notions, présentes de longue date dans la jurisprudence, ont récemment été inscrites dans le préambule de la Convention. Il revient d’abord aux États de protéger les droits de l’homme, et la Cour n’interviendra qu’en cas d’échec manifeste des autorités nationales. Lorsque les juges internes se sont référés aux critères de contrôle développés par la Cour, celle-ci ne contredira leur appréciation que dans des cas exceptionnels. Il apparaît donc que les critiques adressées à la Cour ne sont pas dénuées d’effets.
La Cour ne saurait néanmoins trop reculer, au risque de se renier, dans un contexte où plusieurs États parties à la Convention européenne des droits de l’homme sont désormais des régimes plus ou moins autoritaires. Il en va, par exemple, ainsi de la Russie (jusqu’à son éviction en 2022), de la Turquie, mais aussi de la Pologne ou de la Hongrie. Cette situation pose plusieurs difficultés redoutables à la Cour européenne des droits de l’homme.
D’abord, la multiplication des atteintes aux droits de l’homme engendre de nombreuses requêtes qui contribuent à l’engorgement de la Cour. À la fin de l’année 2021, près de la moitié (46 %) des requêtes pendantes devant la Cour concernaient la Russie ou la Turquie (16 % concernaient l’Ukraine, 8 % la Roumanie). Ensuite, ces États rechignent souvent à exécuter les arrêts de la Cour. Les indications données à cet égard par le Comité des ministres, chargé de surveiller l’exécution des arrêts, sont révélatrices. Les affaires concernant la Russie[...]
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Écrit par
- Thomas HOCHMANN : professeur de droit public, université Paris Nanterre
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