CÉNACLES ROMANTIQUES
Le terme Cénacle, indissociable de l'histoire du romantisme, a été employé par Sainte-Beuve pour désigner le groupe de poètes et d'artistes qui, autour de Victor Hugo, contribuèrent à l'éclosion de la nouvelle école. Bien que l'entrée en scène de Sainte-Beuve ne date que de 1827 et que le rôle de Victor Hugo ne devienne réellement prééminent qu'à cette même époque, la critique appliqua ce terme à la période qui précéda et prépara la révolution romantique. On distinguera donc plusieurs Cénacles successifs : celui de La Muse française ; le salon de l'Arsenal ; le Cénacle à proprement parler, encore appelé « Cénacle de Joseph Delorme » ; enfin le Petit Cénacle, rassemblée autour de Pétrus Borel, et qui se confond avec la bohème.
Charles Nodier et les soirées de l'Arsenal
Le 28 juillet 1823 parut le premier numéro de La Muse française, organe du romantisme qui, à cette époque encore, se définit plus par son esprit – catholique, royaliste et nationaliste – et par sa fidélité à Chateaubriand que par une révolution de l'art poétique. On compte sept fondateurs, liés par un fort sentiment d'amitié et par le désir de s'entraider, tous lauréats de la prestigieuse académie des Jeux floraux de Toulouse : Alexandre Soumet, de loin le plus célèbre, surtout après le triomphe de sa Clytemnestre à la Comédie-Française, son ami et condisciple Alexandre Guiraud, rédacteur du prospectus de la revue, Émile Deschamps qui en est le principal organisateur, et enfin Victor Hugo, Alfred de Vigny, Saint-Valry et Desjardins. De nombreux rédacteurs y collaborent : Mmes Sophie Gay (et sa fille Delphine), Dufresnoy, Tastu, Desbordes-Valmore ; Charles Nodier, Chênedollé, Ancelot, Guttinguer, Gaspard de Pons, Jules de Rességuier, etc., tous animés d'un même amour de la poésie, poésie lyrique essentiellement. C'est là sans doute le seul lien de ce recueil d'inspiration fort diverse, mais qui, à part certains poèmes de Vigny et quelques vers de Hugo, reste dans ses grandes lignes fidèle au néo-classicisme formel. La part de la critique y est faible et celle du pamphlet à peu près nulle. Le terme même de romantisme n'y est pas employé. C'est Charles Nodier qui, dans un article du 15 avril 1824, « Première Lettre sur Paris : de quelques logomachies classiques », passe à l'attaque, s'attirant une semonce de l'Académie française (24 avr.), laquelle sera suivie d'une réponse immédiate d'Émile Deschamps. Mais la polémique est stoppée net, et la revue cesse même de paraître le mois suivant. Il faut en chercher la raison dans l'élection à l'Académie française de Soumet qui fut l'objet, de la part de ses électeurs, de pressions pour ramener les romantiques à un peu plus de discrétion ; dans certaines dissensions au sein du groupe opposant la prudence des Toulousains (Soumet, Guiraud, Rességuier) et de Deschamps à l'exigence plus novatrice de Hugo et de Vigny ; enfin, dans la chute de Chateaubriand, évincé du ministère Villèle, événement qui amorce la désagrégation de ce romantisme fait de loyalisme envers le pouvoir et la naissance d'un romantisme oppositionnel ouvert aux courants libéraux les moins engoncés dans le néo-classicisme.
Les sympathisants du romantisme se regroupèrent chez Charles Nodier, nommé au début de 1824 bibliothécaire de l'Arsenal. Son appartement de fonction, rue de Sully, était ouvert à tous ses amis. Il y avait là Cailleux et le baron Taylor, des artistes comme Dauzat, des philosophes comme Ballanche et Fourier, et toute la petite troupe de La Muse française. Le maître de maison recevait ordinairement dans la chambre de sa femme et, à l'heure du dîner, des couverts disposés d'avance attendaient les invités de dernière heure. Les célèbres dimanches de l'Arsenal, où, pour la circonstance,[...]
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Écrit par
- France CANH-GRUYER : diplômée d'études supérieures de littérature française
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Autres références
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