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CÉNACLES ROMANTIQUES

Autour de Victor Hugo

Le Cénacle proprement dit est encore appelé « Cénacle de Joseph Delorme », en l'honneur du célèbre poème de Sainte-Beuve dans lequel ce terme se trouve appliqué au groupe d'amis et d'artistes qui, de 1827 à 1830 (à peu près du « manifeste » de la préface de Cromwell à l'apothéose d'Hernani), furent au cœur de la révolution romantique. Certes, Sainte-Beuve, qui entre en relation avec Victor Hugo après un article extrêmement élogieux dans Le Globe des 2 et 9 janvier 1827 sur le premier volume des Odes, y joue un rôle non négligeable par l'œuvre de théoricien et de critique qu'il commence à édifier comme par l'aide matérielle qu'il lui apporte en faisant du Globe l'organe des théories nouvelles.

Mais c'est bien Victor Hugo qui constitue la figure maîtresse du Cénacle. Il a abandonné son appartement de la rue de Vaugirard pour un autre plus spacieux, rue Notre-Dame-des-Champs ; Sainte-Beuve, si forte était alors l'amitié qui unissait les deux hommes, emménage à quelques numéros de là. Les réunions, qui se tiennent chez Hugo, dans le salon appelé « chambre au lys d'or » (la fleur poétique gagnée à l'académie des jeux Floraux), rassemblent un nombre toujours plus grand de sympathisants et d'amis. On ne saurait trop insister sur l'esprit qui animait ce groupe, assez ouvert pour recueillir presque tout ce que le romantisme français compta de gloires. Fait nouveau dans l'histoire des lettres, les musiciens et surtout les artistes s'y mêlaient de plus en plus nombreux aux écrivains. Tous les arts cherchaient à communier dans une même recherche. Jeunes rapins ou jeunes poètes, tous avaient le sentiment exalté de vivre un tournant de l'histoire en se débarrassant des conventions académiques et des vieux conformismes, pour inventer des formes résolument modernes, laissant libre cours à l'imagination. Chacun lisait ses œuvres, on se dispensait mutuellement encouragements et félicitations ; véritable « camaraderie littéraire », pour reprendre l'expression d'un détracteur, Henri de Latouche.

Les plus célèbres des réunions du Cénacle furent les lectures des pièces de Hugo, Marion Delorme (10 juill. 1829), alors appelée Un duel sous Richelieu, où assistèrent notamment Balzac, Eugène Delacroix, Vigny, Dumas, Musset, Sainte-Beuve, Villemain, Mérimée, Armand et Édouard Bertin, Louis Boulanger, Frédéric Soulié, Taylor, Soumet, Émile et Antony Deschamps, les frères Devéria, Charles Magnin, Mme Belloc, Mme Tastu. La lecture d'Hernani (30 sept. 1829), véritable soirée historique, fut le prélude à la bataille de la représentation du 25 février 1830 et des suivantes ; dans les semaines qui précédèrent cette bataille, gagnée de haute lutte, la maison de Hugo ressemblait davantage à un quartier général, où les combattants viennent prendre les instructions, qu'à un salon littéraire.

Mais cette même année 1830 marque la fin du Cénacle : jalousies et rivalités de théâtre, répercussions de la révolution de 1830 qui désagrège et éparpille le groupe suivant les prises de position des uns et des autres ; refroidissement certain dans les rapports entre Victor Hugo et Sainte-Beuve, dû autant au malaise croissant du critique devant l'absence de mesure, d'équilibre et de bon goût du génie hugolien qu'à l'attraction réciproque que s'avouent Adèle Hugo et « Joseph Delorme ». Hugo lui-même éprouve le besoin d'une plus grande solitude méditative et imaginaire (c'est l'heure des Feuilles d'automne), et se sent peut-être las de jouer au général en chef d'une armée littéraire. Dès l'été de 1830, il déménage et va s'installer rue Jean-Goujon, dans un quartier lointain et alors peu fréquenté. Les foyers du romantisme vont essaimer, se multiplier et se[...]

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Charles Nodier - crédits : AKG-images

Charles Nodier

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