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CENSURE

Les contradictions de la censure

On considère généralement que la censure royale en France a appuyé au xviie siècle la Contre-Réforme et qu'elle a fortement affaibli les adversaires ou les critiques de la monarchie absolue, les jansénistes par exemple. Restée en vigueur jusqu'en 1789, elle a aussi exercé des effets à long terme sur la vie culturelle française. Par exemple, elle n'a pu que stimuler des formes d'écritures qui, comme l'euphémisme ou l'ironie, permettaient de déjouer la vigilance des censeurs. Tout comme en Espagne et en Italie, elle a aussi contribué à imposer un style national marqué par l'hégémonie de la littérature, au détriment des sciences modernes, lesquelles se sont surtout développées dans les pays en rupture avec l'Église romaine.

Au regard des objectifs que le pouvoir monarchique lui assignait, la censure a exercé des effets négatifs et même contre-productifs. Ainsi, elle n'est pas totalement parvenue à empêcher la circulation dans le royaume des textes interdits. Les ouvrages qui ne pouvaient être imprimés en France l'étaient à l'étranger. Des livres protestants étaient imprimés en pays réformés, en particulier dans les républiques de Genève ou des Provinces-Unies et dans le royaume de Prusse – où les protestants français avaient trouvé refuge après la révocation de l'édit de Nantes en 1685. Ils faisaient ensuite l'objet d'une circulation clandestine, sous petits formats, au travers des colporteurs. Certains textes interdits étaient aussi reproduits en France. Les imprimeurs qui se livraient à cette activité prenaient des risques, mais ils en tiraient de gros profits, car les livres condamnés par la censure étaient très recherchés. Manifestement, les couches sociales qui avaient accès au livre ne se contentaient plus des lectures que le roi recommandait à ses sujets. Diderot écrivait dans sa Lettre sur le commerce de la librairie : « Plus la proscription était sévère, plus elle haussait le prix du livre, plus elle excitait la curiosité de le lire, plus il était acheté, plus il était lu. »

Un effet de la censure a donc été le développement d'une édition clandestine. Celle-ci a permis dès le xviie siècle la diffusion d'un livre comme Les Provinciales de Pascal, et a pris une importance massive au siècle suivant. Les textes de philosophes interdits pour leurs attaques contre la religion et leurs implications politiques, comme ceux de Spinoza et des « spinozistes », ont ainsi pu circuler clandestinement aux xviie et xviiie siècles dans toute l'Europe. Il en fut de même pour une abondante littérature libertine et pornographique et pour de nombreux pamphlets relatifs à la vie privée scandaleuse du roi et de son entourage. La censure a ainsi engendré un commerce très profitable qui bénéficiait en partie à des imprimeurs étrangers. À cet égard, elle a constitué un frein au développement de l'édition en France.

Plus généralement, elle a engendré des contradictions de plus en plus visibles. Au cours du xviiie siècle, la frontière entre les ouvrages autorisés et les textes interdits devint de moins en moins claire. Au système unique de la permission scellée qu'un imprimeur recevait pour une longue durée s'étaient en effet progressivement ajoutées des autorisations d'imprimer qui, moins formelles, étaient révocables à tout moment par le roi. De plus, la décision rendue sur un ouvrage devenait plus arbitraire : elle semblait dépendre, presque autant que de son contenu, de la capacité de son auteur à activer ses réseaux d'influence pour obtenir le censeur qui lui soit le moins défavorable. En France, Malesherbes, directeur de la Librairie à partir de 1750, semble avoir été très conscient des contradictions de l'institution, ce qui l'a conduit à assouplir la censure sur les livres. En revanche,[...]

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Journal censuré - crédits : Roger-Viollet

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