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CENSURE

Ordre public et bonnes mœurs

Ces périodes particulières mises à part, le contrôle étatique des publications a été très limité au xxe siècle. L'assouplissement de la législation traduit certainement un progrès de la liberté d'expression, mais il tient aussi à l'affaiblissement du rôle social de l'écrit face aux nouveaux moyens de communication. En revanche, il faut souligner que le développement du cinéma et de la télévision s'est accompagné dans tous les pays de la mise en place d'interventions étatiques de type préventif. Ces interventions se sont réclamées le plus souvent du souci de la nécessité d'assurer l'ordre public et de protéger les « bonnes mœurs ».

Très rapidement après l'apparition du cinéma, les autorités politiques ont pris des mesures pour prévenir les troubles auxquels les projections de films pouvaient, à leurs yeux, donner lieu. Aux États-Unis comme en Europe, ce sont d'abord les autorités locales qui interviennent dans le cadre de leur pouvoir de police pour interdire des projections. Le premier arrêté municipal instaurant une censure est pris en 1907 à Chicago. En 1909, le ministre de l'Intérieur français enjoint aux préfets d'inviter les maires à interdire la projection d'une quadruple exécution capitale filmée à Béthune. Dans les années 1910, des maires font systématiquement visionner les films projetés dans leur ville. Cette censure préalable improvisée localement est organisée et officialisée en juillet 1919 à l'échelle nationale : un film, pour être diffusé, doit obtenir un visa d'une commission ministérielle. Sur le modèle du British Board of Film Censors, le Québec crée un Bureau de censure du cinéma en 1913, qui agira avec zèle jusqu'à sa suppression, en 1967. Aux États-Unis, les studios de Hollywood, pour éviter les instances de censure locales ou nationales, préféreront s'autocensurer en adoptant dans les années 1930 un code de production, le célèbre « code Hays ».

Le système français d'autorisation préalable est réorganisé en 1948 autour du Centre national de la cinématographie. Il reste aujourd'hui en vigueur même si ses critères se sont assouplis depuis les années 1970. Des films ont ainsi été interdits ou condamnés à une diffusion restreinte. C'est le souci des « bonnes mœurs » qui a le plus souvent justifié ces décisions. En 1965, une adaptation par Jacques Rivette de La Religieuse de Diderot est interdite parce qu'elle met en scène une sœur sadique et une autre saphique. La représentation de la sexualité a été une question majeure en matière de censure cinématographique. En 1972 encore, Le Dernier Tango à Paris de Bernardo Bertolucci provoque un scandale pour une scène de sodomie ; il est interdit notamment en Espagne et en Italie. Les films considérés comme pornographiques ont été longtemps interdits de projection publique. Ils ont été très brièvement autorisés en 1974, avant qu'un régime spécifique ne leur soit appliqué : leur diffusion est depuis lors réservée à un public majeur et limitée à des salles spécialisées ; les sociétés qui les produisent et les exploitent sont soumises à une taxation particulièrement lourde et ne peuvent prétendre à des aides publiques.

Les mêmes préoccupations d'ordre moral ont pesé sur la télévision. En ce domaine, les États ont longtemps pu s'abstenir de mettre en place des instances de censure spécifiques, puisque la télévision a longtemps été un monopole public. La diffusion de certains films était, de fait, inenvisageable dans les années 1960 ou 1970. En 1961, des responsables français invoquent « la responsabilité de l'État, garant de l'ordre moral et culturel », pour mettre en place un comité de visionnage ; celui-ci peut décider d'incruster à l'image un « carré blanc » pour les programmes qu'il juge trop[...]

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Média

Journal censuré - crédits : Roger-Viollet

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